Tout ce qui pourrit ma vie de cycliste.

        Cela fait maintenant deux ans que j'effectue l'essentiel de mes trajets en vélo. Depuis un an, je roule même en vélo couché pour plus de confort et d'efficacité. Annuellement je parcours près de 9000 km en vélo (essentiellement en position horizontale), j'emprunte le train sur près de 2000 km (pour quelques déplacements exceptionnels) et je roule en voiture ou en moto sur 2000 à 4000 km (lorsqu'il y a urgence et lorsqu'il y a moyen de remplir un véhicule (co-voiturage)). Je ne prends pour ainsi dire jamais le tram ou le bus car je les juge inefficaces comparés au vélo. Et pour des raisons environnementales évidentes, je boycotte l'aviation civile. Je prends le temps de détailler mes nouvelles habitudes car les années précédentes, j'étais plutôt à 20 000 km par an en véhicule à moteur, comme la plupart des gens.

        Si j'en suis venu à faire autant de vélo, alors que ce sport ne m'a jamais intéressé (mon truc, c'est plutôt le karaté et le nunchaku), c'est parce que j'ai pris conscience qu'il fallait limiter ma consommation de pétrole. Ma motivation première était de limiter mon impact sur les changements climatiques. Peu de gens savent que les automobilistes devraient limiter leur consommation d'essence à moins de 70 litres par an si nous voulons éviter les très gros ennuis que nous prépare la physique. Je suis également conforté dans mes choix au niveau financier car je suis beaucoup moins sensible à la flambée actuelle (et surtout à venir !) des prix à la pompe. Le vélo est un moyen de gagner rapidement beaucoup d'argent à l'approche du pic oil.

        Au fil des kilomètres, les anecdotes s'accumulent et il est temps que je déballe mon sac car j'en ai ras le bol de cette société où l'automobile est la reine et le vélo réservé au seul secteur des loisirs. La gueule de bois risque d'être terrible lorsque toutes ces voitures se réveilleront un beau jour le réservoir vide. Dans un avenir où le pétrole s'appellera réellement l'or noir, le vélo sera avec le train notre seul mode de déplacement. Plus vite nous essaierons de nous adapter à cette réalité, moins dure sera la transition entre le tout voiture et le tout vélo.

        En attendant le sacrement de la peine reine (le vélo droit) et de son impératrice (le vélo couché), voici une liste non exhaustive de ce qui pourrit aujourd'hui ma vie de cycliste.

        La première des choses est le manque de diligence de certains usagers à notre égard. Il y a ces jeunes qui roulent en voitures de sport, souvent des petites voitures "tunnées", qui freinent au dernier moment avant de vous éviter en vous rasant à 20 cm et en vous montrant clairement leur majeur dans le rétroviseur. Il y a ces  voitures "ordinaires" mais visiblement avec un filtre à air encrassé et qui après vous avoir doublé rétrogradent violemment et volontairement pour vous laisser respirer un énorme nuage noir aussi toxique que mal odorant. La pire des odeurs revient quand même aux scooters et mobylettes deux temps. Et je ne parle même pas du bruit de ces engins... Il y a aussi ces cars ou ces bus qui puent (même quand ils roulent au gaz naturel !) et qui vous doublent à 50 cm alors que la législation leur impose au moins le double et qui s'arrêtent devant vos pédales 200 m plus loin. Je suis relativement peu confronté aux camions mais ils représentent pourtant une grande source de danger à cause de l'air qu'ils déplacent. Je n'ai réellement l'impression d'exister qu'aux yeux de 30% des usagers et je peux même donner un bon point aux conducteurs de 4x4 que je n'aime pas plus que cela du fait de leur voracité pétrolière, mais qui il faut le dire sont très souvent les plus diligents à mon égard (Parce que j'utilise comme eux un engin exotique ? Ou parce que le prix du pétrole les incite à rouler super cool ?). Il y a toujours des exceptions et je reste méfiant surtout en ville où ces véhicules pullulent de plus en plus. A voir tous ces pares buffles, c'est à croire qu'il y règne une grande insécurité et que le risque de voir apparaître dans nos rues des zèbres ou des éléphants doit être fort.  Faut-il y voir une anticipation de certains usagers de la route au réchauffement de la planète ?

        Le deuxième problème vient des aménagements censés accueillir les vélos. Ma femme, également adepte du vélo, s'est faite arrêtée par un gendarme il y a peu de temps . Elle a été menacée d'une amende parce qu'elle roulait sur la route (à Ancenis) au lieu de circuler sur une voie cyclable adjacente. Certes elle était en tort, mais encore faut-il expliquer que ces pistes cyclables sont inefficaces et dangereuses car... très probablement conçues par des automobilistes ! A quoi bon prendre une voie cyclable qui va vous obliger à céder la priorité aux voitures par deux fois (et à l'heure de pointe !), alors qu'on peut rouler dans le flot de voitures sans plus de risques que sur toute autre route ? Au lieu de construire ce genre d'infrastructures inadaptées, les mairies devraient généraliser les zones 30 km/h pour diminuer le différentiel de vitesse auto / vélo. Dans quelques années, du fait de la flambée du pétrole, les routes seront de toutes façons désertées par les automobiles. 

        Toujours concernant les pistes et bandes cyclables, c'est l'endroit où les vélos crèvent le plus ! Simplement parce qu'elles ne sont pas nettoyées et parce que s'y accumulent  tous les bris de verre rejetés par la circulation automobile. Aujourd'hui je préfère rouler hors bandes cyclables et particulièrement sur les portions qui longent des voitures en stationnement. Le risque est trop grand de se faire couper la route par une portière qui s'ouvre ou une voiture en marche arrière. Malheureusement, beaucoup de gens qui me suivent ne comprennent pas mon attitude de réserve à l'égard des bandes cyclables et prennent des risques inconsidérés pour me dépasser, alors qu'au feu suivant je suis toujours devant. Comment leur faire comprendre que leur attitude met en jeu la vie des autres, nuit à l'environnement et à leur porte monnaie du fait du gaspillage d'essence et de garniture de frein ?

        Voilà les quelques aberrations qui pourrissent ma vie de cycliste. Je suis certain que les quelques courageux qui osent braver la circulation en pédalant se reconnaîtront dans ce vécu. J'aimerais bien lire quelques réactions dans ce genre pour crever l'abcès. Je fais voeux de continuer à pédaler pour épargner l'avenir des générations futures, mais je demande solennellement aux gens qui nous croisent ou nous doublent de faire preuve de la plus grande diligence à notre égard et à l'égard de tous ceux qui ont choisi d'aller moins vite, dans cette société qui fonce dans le mur.  

        Cet article me donne l'occasion d'ouvrir une petite parenthèse d'ordre politique. A l'heure actuelle, je crois que le pic oil et le réchauffement climatique nous offrent deux seuls choix politiques : l'extrême droite pour maintenir jusqu'à la dernière goutte de pétrole notre mode de vie dispendieux en usant de la violence comme le font les USA et à leur manière tous ceux achètent encore des 4x4, des voitures climatisées ou des billets d'avion, et l'extrême vert pour organiser une sobriété progressive et durable en taxant les carburants, en rationnant l'énergie et en réprimant les comportements les plus gaspilleurs. Jusqu'ici mon choix est clair bien qu'orphelin des élections car l'extrême vert n'existe pas (A moins qu'Yves Cochet...). J'espère ne pas en venir à l'autre solution (acheter un 4x4 en me cachant derrière les valeurs ultra sécuritaires du Front National, de Sarkozy et plus récemment de Marie-Ségolène) parce que dégoûté du comportement de certains automobilistes. 

Eric Souffleux, le 7 juin 2006 à Nantes.

Cet article a été publié très partiellement dans le Ouest France du 10 et 11 juin 2006 (trois jours après l'envoi au journal)

 

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Dernière mise à jour : 11 juin 2006
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