Ambivalence

        Comment aborder les prochaines élections quand on est un militant écologiste ne se reconnaissant pas chez les Verts ? Comme d'autres jeunes lecteurs de Politis, je me pose cette question difficile. Voici quelques réflexions montrant mon ambivalence car je suis très partagé sur la décision à prendre. 

        Idéalement, il faudrait un état fort qui organise une autolimitation de notre consommation de ressources, ce que l'économie libérale semble incapable de faire. Qui dit plus d'état dit qu'on est plus à gauche, ce qui justifie à mon sens l'ancrage des Verts à gauche. Cependant, raisonner ainsi, c'est penser que l'individu n'est pas responsable dans ses pulsions consommatrices et qu'il faut donc un rappel à l'ordre environnemental de la part de l'état (taxe carbone, bridage des moteurs...). Étant écologiste, je suis donc à gauche, mais bien conscient qu'il faut un état plutôt dur à l'égard la mentalité majoritaire. Et c'est là que je me dis que le peuple de gauche qui ne pense qu'à augmenter son vouloir d'achat, consommateur peu responsable par nature, très souvent schizophrène, ne mettra jamais en place un état écologiste, sauf peut être correction exemplaire de dame nature. Je le vois bien autour de moi, les écologistes en actes sont ultra minoritaires. Comment espérer alors qu'une majorité de gauche puisse mettre en place des mesures coercitives à l'égard de la voiture, de l'avion, de l'industrie et de l'agriculture chimique ? Impensable ! La gauche est avant tout structurée autour de l'idée d'un état fort qui redistribue plus à tout le monde, ce qui est parfaitement incompatible avec la nécessaire modération que la planète attend de nous. Voter à gauche pour sauver la planète ne semble donc pas être un choix très judicieux.

        Je me dis maintenant qu'en votant à droite, avec donc moins d'état, je favorise la prédominance de ma façon de consommer sur ma façon de voter. Je crois de plus en plus que le marché est la meilleure manière d'absorber ma marginalité en respectant mes convictions écologiques car dans notre société, il est malheureusement illusoire d'imaginer l'émergence d'un mouvement écologiste majoritaire. Même le plus grand des rassembleurs écolos, Nicolas Hulot, ne dépassera pas les 15% d'intention de vote. Avec mon porte monnaie d'écologiste, je suis comme le Colibri qui fait sa part pour éteindre l'incendie même si je sais que cela ne marchera pas. Voter à droite pour moi, c'est sanctionner la gauche qui a choisi la voie du productivisme plutôt que la modération.

        Cette ambivalence entre mon espérance dans la gauche et mon pragmatisme dans la droite fait de moi un véritable électron libre. Mon vrai créneau serait l'extrême vert. Si Nicolas Hulot ne se présente pas, je serais comme beaucoup orphelin de la politique, militant écologiste de longue date, grand résistant à l'automobile grâce au vélo couché, en cours de reconversion dans l'agriculture biologique, nucléo-tolérant (parce que je préfère l'atome à la houille), partagé entre la gauche de coeur et la droite de raison et même parfois tenté sans complexe par les extrêmes (même le FN) tellement on peut avoir envie de dire merde un jour à tous ces gens qui disent merde à la planète tous les jours.

        J'avance vers les urnes à reculons. Je ne voudrais plus voter. Je préfèrerais la désignation aléatoire de collèges de citoyens qui prendraient des décisions unanimes et respectables, loin des mécanisme démagogique de la politique actuelle. Au moment où j'écris ce premier courrier adressé à Politis, je sors d'une conférence animée par Pierre Rabhi (à Orvault près de Nantes), une conférence très intéressante, mais une salle pleine... d'automobilistes ! Les cyclistes dont je faisais partie n'étaient qu'une poignée alors que le temps se prêtait bien au vélo. C'est cela aussi l'ambivalence, venir en bagnole écouter Pierre Rabhi. On est encore très loin de la convergence et de la cohérence. Et ne me parlez pas de décroissance, ce terme ne signifie aujourd'hui que mépris et contradiction.

Eric Souffleux

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Dernière mise à jour : 19 décembre 2006
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