Non, l'agriculture polonaise ne disparaîtra pas !

        Ce courrier est une réaction à l'article d'Antoine Hervé, publié en page 2 du 3 août. Cet article montre la disparition de l'agriculture "à l'ancienne" en Pologne comme une fatalité. Je ne suis pas d'accord car par certains aspects cette agriculture est même en avance sur son temps !
        La progression de la mécanisation de l'agriculture ne sera possible que dans la mesure où le diesel qui alimente les machines agricoles restera bon marché. Or, il faut s'attendre à une multiplication du prix du pétrole par plus de 5 d'ici 2015 (au delà des 400 dollars le baril). Il est même possible que nous devions faire face à une pénurie de pétrole en Europe pendant quelques dizaines de mois pour cause de conflit (nucléaire?) au Moyen Orient. Ce qui se passe en ce moment au Liban et aussi en Irak ne fait que renforcer cette hypothèse morbide. La haine gagne du terrain dans tous les camps en présence, ce qui peut déboucher un jour sur une grande catastrophe. Un roman actuellement dans les librairies parle de deux attentats nucléaires en octobre 2006, un à Milan et l'autre à ...Paris.
        Que va-t-on faire avec nos tracteurs et nos moissonneuses batteuses lorsque leurs réservoirs seront vides, soit parce que le pétrole sera devenu trop cher, soit parce qu'il sera introuvable pour cause de pénurie massive et durable ? A ce moment là, en supposant que la société garde un semblant de cohésion, nous n'aurons pas d'autre choix que de revenir au travail de la terre avec nos seules mains et des outils de jardinage ! Un triste retour à l'an 1000 !
        Pour lutter contre le péril climatique, je suis prêt à accepter la décroissance de mon niveau de vie, mais seulement jusqu'à un certain point. Et concernant l'agriculture, le matériel moderne développé autour de la traction animale au sortir de la seconde guerre mondiale me semble un objectif raisonnable. Revenir aux années 50, ce n'est pas la même chose qu'un retour au Moyen Âge !
        Revenons à cette agriculture polonaise et parlons justement de ce que l'on peut qualifier de moderne. D'après ce que j'en sais et d'après l'article d'Antoine Hervé, ils en sont justement aux techniques agricoles que nous connaissions dans les années 1950. Ils utilisent en fait du matériel très moderne d'inspiration américaine (comme la faucheuse lieuse) mû par la traction animale. On voit même bien sur la photo qui illustre l'article que le cheval dispose d'un collier léger, très confortable, très moderne ! On voit aussi que la remorque qu'il tracte est montée sur des pneus. Là aussi c'est un signe fort de modernité. Quel soulagement pour le cheval comparé aux antiques charrettes avec des roues en bois !
        Ne nous méprenons pas sur ce que cache le modernisme de notre agriculture. Les pesticides, les engrais, les tracteurs, les complexes agro-industriels, l'exode rural et l'excessive dépendance à une matière vouée à disparaître (le pétrole) relativise l'idée de modernité dans notre agriculture. Celle-ci n'existe que depuis les années 1960 et la règle dans ce domaine devrait être l'agriculture biologique, pas l'agriculture chimique !
        Pour de nombreux produits issus de l'agriculture (comme de la pêche) il faut investir 10 à 100 fois plus d'énergie fossile que ce qu'on obtient en énergie alimentaire. L'agriculture paysanne polonaise, avec ses chevaux et son matériel dérivé des années 1930 - 1950 reste largement productrice nette d'énergie alors que notre système productiviste est consommateur net d'énergie. Notre système agricole n'a rien de durable et on veut nous faire croire par ailleurs que les carburants d'origine végétale seront la solution à notre manque d'essence automobile. On rêve ! Comment cette agriculture consommatrice nette d'énergie pourrait-elle en produire ?
        L'agriculture polonaise est pour moi source d'inspiration. Contrairement à ce qu'écrit Antoine Hervé, la traction animale n'a pas totalement disparu de nos paysages. En France, quelques centaines d'agriculteurs prennent déjà le risque d'être en avance sur leur temps en réintroduisant le cheval de trait dans les fermes. Je vais faire partie de ces gens car je suis en cours de formation pour devenir maraîcher biologique. Je ne sais pas encore où je vais m'installer, quelque part entre Bordeaux et Saint Malo, là où on trouvera un îlot de terre nécessaire à la culture et à l'élevage des chevaux de traits. J'ai l'ambition de vendre des aliments sans l'assistance du chimique, dans une ferme au bilan carbone négatif (en reboisant et en limitant l'usage des machines fonctionnant au pétrole) et en participant à la préservation d'un patrimoine vivant : le cheval de trait. J'ai pu rencontrer ces personnes qui travaillent aujourd'hui avec le cheval et elles sont déjà largement gagnantes, pour peu qu'elles s'équipent avec du matériel agricole bien éprouvé par le temps et qu'elles soient très organisées.
        N'en déplaise à Antoine Hervé, l'agriculture traditionnelle polonaise ne va pas disparaître. Au contraire, elle sera même un modèle pour effacer les affres de l'agriculture chimique et pour que nous puissions tout simplement continuer à manger à notre faim, car j'en suis sur, l'agriculture conventionnelle et mécanisée échouera dans sa raison d'être dès que le prix du pétrole explosera.
        La balle est maintenant dans le camp des consommateurs. C'est à eux que revient la charge de choisir entre le chimique et le biologique, entre le mécanisé et la traction animale, entre le passé et l'avenir. Je verrai bien sur les marchés et l'AMAP que j'alimenterai si les consommateurs perçoivent l'intérêt vital de cette démarche pour simplement faire face à cette fatalité : l'épuisement des ressources pétrolières.

Eric Souffleux

Devine avec son polyculteur Prommata fabriqué en France nous prouve que la traction animale a encore de beaux jours dans nos campagnes.

 

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Dernière mise à jour : 20 août 2006
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