Quelques désaccords profonds avec le journal La Décroissance.
Cela me trottait dans la tête depuis quelques mois, trop c'était trop ! Le dernier numéro m'a décidé à vous écrire car avant que je ne fasse plus partie de vos lecteurs, il fallait que je vous donne quelques explications, en espérant que l'approche du journal s'améliore car l'idée de la décroissance est belle mais elle doit s'adoucir pour séduire davantage et ainsi se concrétiser.
Paul Ariès écrit que "Nous n'avons pas foi dans les mouvements de consommateurs pour changer la société et nous ne cessons de dire que l'on vote d'abord avec son bulletin de vote."
Soit ! Mais alors pour qui voter ? Je comprends que Sarkozy, Royal, Buffet et Le Pen (pour ne citer qu'eux...) soient fustigés sur l'autel de la croissance. Mais quand Voynet et Hulot passent de la même manière devant le tribunal de la décroissance, vous nous laissez comprendre que même du côté du bulletin de vote, on ne peut compter sur personne. Quitte à aller vite vers la décroissance, votre discours du tous pourris (et apparemment, vue votre acharnement, Nicolas Hulot est plus pourri que tous les autres) est la meilleure justification d'un vote d'extrême droite même dans les rangs de vos lecteurs.
J'ai une pensée toute particulière pour Nicolas Hulot que vos écrits blessent au plus haut point. Que vous le vouliez ou non, Nicolas Hulot a changé ! Il a certes à assumer un lourd héritage de pollution, comme nous avons tous à assumer notre propre histoire. Mais ce n'est pas une raison pour critiquer aussi durement son évolution récente. Le comité de rédaction du journal devrait faire preuve de plus d'humilité à l'égard de Nicolas Hulot. Le critiquer revient à dire qu'on ne peut pas évoluer dans la progressivité et dans le respect de la démocratie vers cette idée de la décroissance.
Je ne sais pas si vous avez essayé de le contacter mais j'ai eu cette possibilité car déjà, il y a plus d'un an, j'avais eu l'intuition que Nicolas Hulot pouvait être le meilleur ambassadeur de l'écologie (et aussi de la décroissance énergétique) aux élections présidentielles. Je lui ai écrit une lettre l'invitant d'une part à se présenter en 2007 pour rassembler les consciences et d'autre part à améliorer ses émissions (les seules que je regardais quand j'avais encore la télé) en utilisant des modes de déplacement plus doux (et en particulier le vélo couché que j'utilise quotidiennement). J'ai pu discuter avec lui. Je le crois très sincère dans sa démarche et je retiens de lui une seule phrase qui pour moi résume très bien le personnage : "Je connais mes faiblesses plus que mes forces. Je connais également mes incohérences dont celles que vous pointez (j'essaie chaque jour de m'améliorer). Mais la seule question qui demeure est : où et comment suis-je le plus utile ? Au moment où je vous écris, jamais la réponse n'a été aussi confuse."
S'acharner sur quelqu'un qui doute à ce point, qui bat des records de popularité (avec une image positive chez près de 90% des français et plus de 10% des intentions de vote en 2007 (et vous verrez qu'il fera encore mieux...)) et qui dans chacune de ses interventions récentes tape dans le mille en sensibilisant plus que jamais l'opinion publique sur l'urgence écologique; je trouve que c'est se tirer une balle dans le pied. Certes l'entreprise Ushuaïa n'a pas que des bons côtés mais pour les écologistes comme je le suis, l'émerveillement que suscitent ses émissions et la justesse du message d'alerte de Nicolas Hulot m'ont renforcé dans ma conviction qu'il fallait faire sa part (comme le Colibri) pour sauver ce qui peut l'être encore. Et il ne s'agit pas simplement de la planète de Nicolas Hulot comme j'ai pu le lire avec horreur dans un précédent journal. Sa planète est aussi la notre !
Depuis quelques années que je vous lis, je constate que vous avez réhabilité de nombreux écologistes après les avoir durement critiqués. Avant qu'il ne soit débouté par son parti, Yves Cochet était devenu votre poulain alors qu'en tant que ministre de l'environnement il avait décerné une médaille "développement durable" à l'aéroport de Lyon. Vous avez admis parmi vos experts Jean-Marc Jancovici (dont je peux dire qu'il a été le principal moteur de ma propre prise de conscience et que je remercie ici à nouveau) dont vous avez pointé la nucléo-tolérance. Il m'est donc permis d'espérer la rédemption de Nicolas Hulot mais je constate que plus le temps passe et plus dures sont les attaques à son égard. Je ne les supporte plus ! Votre message est clair : Quand on a un héritage de pollueur, tout changement est vain. La décroissance vous rappellera toujours les casseroles que vous traînez. Assez !
Et j'en viens à un autre désaccord profond que j'ai avec le journal. Contrairement à ce qu'écrit Paul Ariès, je crois que le pouvoir de notre porte monnaie (notre action en tant que consommateurs) est bien plus important que le pouvoir d'un bulletin dans l'urne, d'autant plus que nous sommes des marginaux. Là aussi, il faut faire sa part ! Rouler en vélo (couché) plutôt qu'en voiture. Manger bio plutôt que manger chimique. Lire et écrire (même sur internet) plutôt que rester spectateur de la télévision. Résister à la bulle immobilière en habitant dans une HLM (Habitation Légère Mobile). Réaliser une reconversion professionnelle dans l'agriculture biologique ou l'artisanat plutôt que de rester dans un secteur aliénant.
D'ailleurs, voter, je n'y crois plus. J'avance vers les urnes à reculons du fait de ma marginalité. Je ne voudrais plus voter. Je préfèrerais la désignation aléatoire de collèges de citoyens qui prendraient des décisions unanimes et respectables, loin des mécanisme démagogique de la politique actuelle. Paul Ariès en parle un peu dans le dernier numéro mais je pense qu'il se plante lorsqu'il écrit que "Faire la promotion du tirage au sort revient à supprimer les appareils politiques." Au contraire ! Ces appareils auraient le devoir de former tous les citoyens, au cas où ceux-ci seraient désignés pour aller aux responsabilités. L'avantage serait qu'il n'y aurait jamais de querelle de chefs puisque personne à élire. On se respecterait bien plus. Il y aurait beaucoup d'autres avantages à l'élection aléatoire mais je ne peux m'étendre si je veux conserver une chance d'être publié.
Une dernière chose, j'aimerais lancer un appel aux bonnes volontés pour créer un journal alternatif à La Décroissance. Il s'agirait d'un journal plus positif et plus concret; un journal qui essaierait de faciliter la décroissance au quotidien et un journal qui privilégierait la critique d'un système plus tôt que la critique de personnes. J'aimerais un journal plus technique sur l'agriculture biologique, sur la propulsion humaine, sur l'habitat écologique, sur la traction animale... bref sur tous les progrès valables pour se réaliser pleinement dans la décroissance énergétique. Je rêve d'un journal qui casserait la publicité des multinationales mortifères et qui ferait en parallèle la promotion de produits concurrents éconologiques (en référence à une soi disant secte que vous avez débusqué sur internet) pour que le lecteur trouve toujours une alternative constructive pour satisfaire ses besoins. La décroissance telle qu'elle est décrite est un système de société mal défini et souvent très contradictoire (Cela sera peut être l'objet d'un autre courrier). Pour bien marquer une rupture positive avec ce mouvement, je vous propose de remplacer le terme décroissance par le terme de convergence. La convergence des niveaux de vie des hommes vers un niveau acceptable pour la planète est un concept qui englobe la décroissance énergétique mais pas nécessairement une décroissance économique dans laquelle les hommes travailleraient moins. Ce dernier point est une illusion entretenue par la Décroissance et je n'y crois pas car le paysan en devenir que je suis sait plus que d'autres que la terre nourricière ne nous rend que ce qu'on lui donne.
Je profite également de ce message pour vous faire part de nos difficultés pour trouver de la terre agricole. On vient juste de nous refuser une exploitation maraîchère très intéressante parce que nous voulions faire du bio. D'après le journal des professionnels du bio (biofil), nous ne serions pas les seuls dans ce cas. Un peu partout en France, des jeunes se forment pour produire des fruits, des légumes, des céréales et du fromage en bio mais ne trouvent pas de terres à exploiter parce que les agriculteurs en place ne croient pas dans le bio. Nous sommes des sans terre et j'aimerai bien que le journal La décroissance mène l'enquête sur ce phénomène et nous aide pour adopter les bonnes stratégies. J'ai déjà le sentiment qu'il faut avancer masquer pour être libre ensuite et ce n'est pas sans rappeler l'attitude de Nicolas Hulot...
Je suis bien conscient que ce message est très long. Vous pouvez supprimer certains paragraphes pour le publier mais dans ce cas j'aimerais que vous précisiez que l'ensemble de cette lettre est lisible sur le site generationsfutures.net
Merci de votre attention.
Eric Souffleux