Jean de la mer de Catherine École-Boivin
Dans ce livre la narratrice raconte l'histoire vraie d'un pêcheur du
Cotentin né en 1911 et aujourd'hui toujours vivant avec son âge très
respectable. L'histoire de ce pêcheur est passionnante parce qu'elle traverse
quelques grandes épreuves de ce siècle, notamment la seconde guerre mondiale,
et aussi les difficultés liées à la pêche.
"La mère de Jean Bréfort se suicide alors qu'il est encore très jeune, il sera élevé par des grands-parents adorables et par un père, rude marin-pêcheur. La mer n'était pas "son idée" : Jean aurait aimé la terre, pourtant, par obéissance, il en fera son métier. Après cinq ans de captivité, il se mariera avec Thérèse en 1945. Tous deux adopteront le neveu de celle-ci, né lors des circonstances dramatiques de l'Occupation. Ce livre avoue la force salvatrice que détiennent les amoureux de l'eau, du sel et du vent, de ceux qu'on nomme les gens de la mer." (extrait de la quatrième de couverture) |
Voilà un livre que je ne peux que vous conseiller pour le plaisir d'offrir.
Voici un petit texte, extrait de ce très beau roman, qui illustre les dégâts de l'arrivée de la pêche au chalut, et qui justifie le fait que je parle de ce livre sur ce site.
La réserve, la fosse naturelle de Saint-Martin
Pour le homard, le meilleur
coin se trouvait à braie Saint-Martin, une fosse très poissonneuse, une
réserve naturelle. Les petits pêcheurs n'y allaient que dans les "morteaux"
(mortes eaux, lors des faibles coefficients de marée). On avait vingt minutes
pour poser nos casiers donc forcément on ne pouvait pas en mettre quarante d'un
coup. Nous ne possédions que nos muscles pour les r'hâler à la force des
bras. Le temps comptait. Dans chaque casier nous pêchions trois ou quatre
homards d'un à deux kilos pas cotonneux, fermes, merveilleux en goût.
Grâce à cette petite pêche peu
intensive, les poissons pouvaient se reproduire entre eux.
Après un horrible hiver, un peu
après les années 1970, tout avait gelé, les pieuvres avaient crevé, la côte
semblait anéantie sous le gel. Lorsque le printemps nous réchauffa un peu,
nous fîmes une bonne saison grâce à cette réserve que nous respections tous,
nous, petits pêcheurs. L'hiver suivant pourtant, nous vîmes arriver des gros
chaluts; je me méfie en vous racontant cela de ne pas trop être emporté par
la haine. Ah bon sang, que je me souviens bien d'où ils venaient ! Ils se sont
installés au-dessus de la réserve avec leurs gros "batiaux", avec
leur gros moteurs, ils pouvaient rester sur place. Ils ont pêché tout l'hiver
dans cet endroit et ils nous ont épuisé notre réserve, sans arrêt. Nous
enragions, mais la mer est à tout le monde. Ils ont vidé la fosse, ils
allaient et venaient. La grande gelée de soixante nous a fait une peur
terrible, donc on se méfiait des éléments naturels, mais pour ce coup-ci, on
n'avait rien vu venir. Nous, les petits pêcheurs, voulions encore bien être
les esclaves de la météo, mais jamais je n'ai pensé que l'on se détruirait
entre humains !
J'ai pris ma retraite en 1975. Les
gros moteurs, le bruit, tout cela ne me disait plus rien. Il fallait bien
arrêter un jour de toute manière, on ne parlait plus que de ce que l'on ne
pêchait plus. L'arrivée au port ressemblait à une longue litanie, il fallait
bien admettre que le métier ne valait plus cher.
Dès lors, les harengs n'atteignirent
plus la côte à l'arrivée des gros chaluts qui écumaient au large, les
pieuvres non plus et tout suivit. Nous nous étions motorisés, mais il fallait
aller chercher le carburant à Cherbourg, bien souvent on remettait les voiles
pour économiser.
Extrait du roman de Catherine Ecole-Boivin, Jean de la mer, paroles d'un Mathieu-Sala du Cotentin, Editions cheminements (collection les gens d'ici), Cholet, 2002.
Voici maintenant quelques photos issues de ce livre et elles-mêmes issues des fin fonds des tiroirs des Haguais.
Sortie d'un bateau de pêche à voiles du port de Goury, en 1919. |
Il fallait deux heures à un pêcheur pour façonner un casier. |
Haute normandie. Arrivée des bateaux de pêche à Étretat. Les femmes sont là, prêtes à prendre la route pour vendre la récolte. |