26 avril 1986 : La tranche n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl explose.
Anatomie d'un drame devenu le symbole de la dangerosité du nucléaire
Par ses conséquences sanitaires, écologiques et industrielles, l'accident
de Tchernobyl a pris la dimension d'un mythe qui cristallise de nombreuses
craintes, justifiées ou non. Nul ne conteste la gravité de l'évènement,
mais, presque deux décennies après, les estimations des conséquences,
sanitaires en particulier, sont toujours aussi discordantes. Par exemple, le
nombre de morts attendus varie selon les sources entre quelques dizaines et
quelques millions et l'augmentation de l'incidence des malformations
congénitales entre l'inapparent et le cataclysmique. Il est aussi malhonnête
de gonfler les chiffres jusqu'à l'absurde, que de chercher à les minimiser.
A travers cette page vous comprendrez pourquoi le réacteur n°4 a explosé et quelles ont été les conséquences objectives de cet accident. |
La centrale de Tchernobyl avant l'accident
La tranche 4 de la centrale de Tchernobyl est un réacteur RBMK de 1000
MW(e), en service depuis 1983. Il contient 1 681 tubes de force enfermant
le combustible (soit 190 tonnes d’oxyde d’uranium enrichi) et un empilement
de graphite comme modérateur, le tout refroidi par une circulation d’eau sous
pression.
Bien que le réacteur de Tchernobyl ait été d'un modèle inconnu en Occident
et accusé par la suite d'être moins sûr que les autres, l'usine de Tchernobyl
avait un excellent rapport de sécurité et était considérée par les
autorités russes comme une vitrine du nucléaire civil soviétique.
Les causes de l'accident
L'enquête ouverte à la suite de l'accident révéla qu'il avait été provoqué par des contrôles de sécurité non autorisés effectués par des techniciens sans supervision.
C’est lors d’un essai de sûreté que tout s’est déclenché. Programmé lors d'un arrêt de routine de la tranche pour maintenance, les 25 et 26 avril 1986, cet essai devait tester le fonctionnement d'un nouveau système de refroidissement de secours du coeur. Les systèmes de sécurité qui auraient dû se déclencher automatiquement pour empêcher la surchauffe avaient été neutralisés délibérément pour tenter de mieux comprendre le fonctionnement de l'usine. Le but de l'expérience était de découvrir si la turbine du générateur disposait d'assez d'énergie pour fournir temporairement de l'électricité dans l'éventualité d'une urgence provoquée par une coupure générale de courant.
Enfin, le personnel n'a pas su anticiper et stopper à temps le processus destructeur. Il l’a même amplifié.
L'engrenage fatal
25 avril 1986, entre 13 h et 23 h, le réacteur est maintenu à mi-puissance sur demande du centre de distribution électrique pour préparer l'essai.
Vers 23 h, la réduction de puissance reprend. Des barres de contrôle sont extraites de nouveau. Ces barres de sécurité absorbent les neutrons émis par la réaction et contrôlent la vitesse de la réaction en fonction de leur position dans le coeur du réacteur. Une erreur des opérateurs conduit à une baisse excessive de la puissance à 30 MWth et à une chute de réactivité : le réacteur n'est plus stable.
26 avril, à 1h 15', en violation de la procédure, les opérateurs décident d'effectuer l'essai prévu et bloquent les signaux d'arrêt d'urgence sur "bas niveau" et "basse pression" dans les séparateurs de vapeur.
A 1h 22', le calculateur ordonne l'arrêt immédiat. Le personnel décide toutefois de continuer l'essai.
A 1h 23' 04", les vannes d'admission de la turbine sont fermées contrairement à ce qu'indique la procédure : la pression de vapeur augmente...
A 1h 23' 21", les barres de régulation descendent automatiquement sans effet notable.
A 1h 23' 40", le chef opérateur ordonne l'arrêt d'urgence : la totalité des barres est descendue dans le coeur. En vain.
A 1h 23' 44", le pic de puissance est atteint. Une explosion, puis un incendie. Dans le coeur, les crayons de combustible se fragmentent. Les pastilles d'oxyde d'uranium, surchauffées, explosent et provoquent une déflagration qui soulève la dalle supérieure du réacteur, d'un poids de 2 000 tonnes. La partie supérieure du coeur du réacteur est à l'air libre. Le graphite prend feu. Trente foyers s'allument. Il faudra trois heures aux pompiers pour les éteindre. Du 27 avril au 10 mai, 5 000 tonnes de matériaux (sable, bore, argile, plomb…) sont déversées par hélicoptère pour recouvrir le réacteur.
Les rejets
Les rejets radioactifs sont très variés. Les débris de combustible et de structure du réacteur sont projetés dans l’environnement proche de la centrale. Les poussières, les aérosols, les gaz sont entraînés par les masses d’air jusqu’à 10 000 mètres d’altitude et dérivent au gré des vents.
Au total, ce sont près de 12 exabecquerels ( milliards de milliards de becquerels) qui, en 10 jours, sont partis dans l'environnement, soit 30 000 fois l'ensemble des rejets d'aérosols des installations nucléaires dans le monde en une année. Le panache radioactif a disséminé sur la plupart des pays d’Europe des radionucléides tels que l’iode 131, le césium 134 et le césium 137. Du fait de sa courte période radioactive (huit jours), l’iode 131 a rapidement disparu. Aujourd’hui, on décèle toujours la radioactivité due au césium 137. |
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Le devenir du césium après l’explosion de la tranche 4 de Tchernobyl.
Dépôts autour de la centrale
Environ 45% du césium rejeté par l’explosion s’est déposé dans les Etats de l’ex-URSS. C’est le Bélarus qui est le plus touché. Les dépôts ne sont pas homogènes. Ils se répartissent çà et là en «taches de léopard».
De nombreux matériaux retombent à proximité du site. Une zone d’exclusion de 30 km est déclarée autour de la centrale. Toutes les personnes vivant dans ce périmètre sont évacuées, après avoir été extérieurement décontaminées.
Dépôts en Europe
Carte du nuage ( ) sur l’ensemble de l’Europe à J + 1. |
Carte du nuage () sur l’ensemble de l’Europe à J + 3. |
Europe de l’Est : On possède moins d’informations sur les dépôts de césium en Europe de l’Est qu’en ex-URSS et en Europe de l’Ouest.
Europe de l’Ouest : C’est en Autriche, en Allemagne, en Italie et en Scandinavie que les dépôts mesurés sont les plus élevés. En revanche, en Espagne et au Portugal, les dépôts sont faibles.
Des mesures fiables
Des mesures ont été faites dans tous les pays européens. L’Union européenne
et les organisations internationales (Agence internationale de l’énergie
atomique, Agence pour l’énergie nucléaire) ont fait l’inventaire des dépôts
de césium 137 au sol.
Au bout de quelques mois, on ne trouve plus de trace d’iode 131 dont la
demi-vie est de huit jours.
Les masses d'air polluées, poussées par des vents est-ouest, ont emporté et dilué les contaminants (iode et césium). Suivant les conditions météorologiques locales, et notamment les précipitations, ils se sont déposés au sol.
Les dépôts en France
Les concentrations en polluants radioactifs dans l’atmosphère ont persisté peu de temps : une journée dans le Nord-Est et quatre jours dans le Sud-Est. A partir de mi-mai, les conditions météorologiques ont favorisé le mélange des masses d’air et par dilution la décroissance de l’activité atmosphérique d’un facteur mille. Ce n’est que depuis fin 1995 que la concentration de césium 137 dans l’atmosphère est redescendue au niveau de ce qu’elle était avant l’accident de Tchernobyl, soit environ 1 millionième de becquerel par mètre cube d’air.
Dépôts de césium en Bq/m 2 en mai 1986 sur la région Est. |
Les pluies abondantes et localisées dans l'Est début mai ont précipité au sol les contaminants radioactifs. |
La contamination en Belarus, en Ukraine et dans la fédération de Russie
Les eaux de rivière
Les eaux ont été contaminées directement par les rejets. Le ruissellement des eaux de pluie ou les crues ont ensuite favorisé le drainage d’une partie des dépôts au sol. Les nappes phréatiques ne sont pas touchées, si ce n’est à proximité même du site où des débris contaminés ont été hâtivement enfouis. La Pripiat et le Dniepr, réservoirs en eau potable des principales villes d’Ukraine, ont été contaminés.
Les forêts
L’interception des aérosols par le feuillage, puis la chute des feuilles ont entraîné une contamination localisée de la litière des forêts sur une surface d’environ 40 000 km2. Plus de douze ans après l’accident, la contamination se concentre dans les cinq premiers centimètres de la litière végétale et favorise la contamination du bois par voie racinaire, surtout pour les jeunes pousses. C’est pourquoi la commercialisation du bois est réglementée. Dans la zone d’exclusion de 30 km autour de la centrale, qui ne fait l’objet d’aucune activité forestière, 30% du bois coupé dépasse la limite autorisée pour la commercialisation. La consommation des produits de cueillette (champignons, baies…) et de la chasse reste réglementée.
Les produits agricoles
Dans les sols, la contamination reste piégée à 90% dans les dix premiers centimètres. Entre 1987 et 1992, le niveau de contamination a décru de 60%. Aujourd’hui, les transferts aux végétaux (cultivés ou non) restent constants. 10% de ces produits provenant des zones contaminées (produits laitiers, viandes et champignons) présentent un niveau d’activité supérieur aux seuils de consommation temporaire fixés par les autorités. La quasi-totalité des céréales et des pommes de terre produites présente une activité inférieure au seuil fixé à 100 Bq/kg de poids frais.
La contamination en France
En 1986, juste après l’accident, la contamination des produits végétaux provient du dépôt direct du césium et de l’iode sur les parties aériennes des plantes.
Aujourd’hui, la contamination des produits végétaux provient de l’absorption par les racines du césium présent dans le sol. L’iode a disparu durant les premières semaines qui ont suivi l’accident.
Impact sanitaire autour de la centrale
Que savons-nous des conséquences des irradiations ?
Les travailleurs d'urgence, les pompiers et le personnel de la centrale
Sur le millier de pompiers intervenus au premier jour, trente et un sont
morts dans les semaines suivant l’accident.
L'accident a fait trois morts par traumatismes. Les interventions en urgence ont
entraîné l'irradiation d'environ 600 personnes; 134 ont présenté un syndrome
d'irradiation aiguë; 28 morts sont survenues dans les groupes les plus
exposés.
Dose mSv | Effectif total | Nombre de morts |
800 - 2100 2200 - 4100 4200 - 6400 6500 - 16000 |
41 50 22 21 |
0 1 7 20 |
Total : | 134 | 28 |
Tableau : doses et décès précoces des liquidateurs les plus exposés, dont les pompiers.
Liquidateurs
Sur les 600 000 liquidateurs, environ 10% ont reçu des doses de plus de 250 mSv (millisievert) et 20% des doses comprises entre 100 et 165 mSv. Si, depuis 1986, aucun excès de mortalité n’a été noté chez les liquidateurs, de nombreux rapports font état d’un nombre de maladies anormalement élevé dans ce groupe difficile à suivre, car éparpillé depuis dans toute l’ex-URSS. A terme, les calculs statistiques estiment que l’accident de Tchernobyl "pourrait être" directement responsable de plusieurs milliers de cancers mortels chez les liquidateurs. Il est cependant pratiquement impossible de différencier les causes de cancers qui naturellement touchent cette population des liquidateurs. Seuls les cancers de la thyroïde en excès peuvent être attribués au rayonnement. Et heureusement cette maladie se soigne plutôt bien puisque le taux de guérison est proche de 100%. Pour les autres cancers "normaux", il sera impossible de démontrer avec certitude qu'ils sont attribuables à Tchernobyl. Tant d'autres facteurs peuvent être mis en cause : alcoolisme, sédentarité, tabac, alimentation...
Pour comparer, la dose moyenne due à l’irradiation naturelle reçue pendant la vie entière est de l’ordre de 150 à 200 millisieverts.
La population civile
Les plus affectés sont les enfants et les adolescents au moment de la catastrophe. L’excès de cancer de la thyroïde, dont une grande partie est curable, s’élève fin 1999 à 1800 cas. |
Le suivi systématique des populations, et en particulier des enfants, a permis de dénombrer chez eux environ 2000 cancers thyroïdiens en excès. Étant donné la lenteur évolutive des cancers de la thyroïde, on ne peut pas encore prédire le nombre de décès qu'entraînera cette épidémie, pour l'instant le nombre de décès est inférieur à dix. Aucune augmentation de la fréquence des cancers de la thyroïde n'a été observée, ni-en Pologne, relativement très proche de Tchernobyl, ni dans les autres pays d'Europe orientale. En France où les doses délivrées à la thyroïde ont été très faibles, aucune donnée ne permet de suspecter un accroissement de la fréquence de la pathologie thyroïdienne qui pourrait avoir été causé par l'accident. Et dans aucun pays, on n'a détecté de tendance à l'augmentation de la fréquence d'autres types de cancers, en particulier les ostéosarcomes dont le délai d'incubation est relativement court.
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Conséquences psychosomatiques
Le choc de l’accident et le fait de vivre dans des zones contaminées affectent particulièrement le comportement des populations. Les troubles de l’humeur, l’anxiété et autres désordres psychologiques sont importants chez les personnes évacuées.
Les effets psychosomatiques et sociaux des 220 000 personnes relogées ont été sévères. Ces sujets ont vécu dans des conditions précaires et leur anxiété était constamment alimentée par des rumeurs pessimistes concernant les maladies qui les menaçaient. On a constaté chez eux une augmentation de la fréquence des maladies psychosomatiques, des dépressions et même des suicides. C'est là une conséquence sanitaire majeure de la catastrophe. Or la légitimité de la plupart de ces évacuations est discutable, puisque si les sujets étaient restés sur place, les doses qu'ils auraient reçues n'auraient pas été supérieures à celles que reçoivent les habitants de nombreuses régions du monde et très inférieures à celles reçues par les habitants du Kerala, au Sud de l'Inde, ou de certaines régions du Brésil. Ces populations s'accommodent parfaitement d'une importante exposition à la radioactivité naturelle.
Les inconvénients des informations alarmistes ont d'ailleurs été également illustrés par la vague d'interruptions volontaires de grossesse observée en Europe Centrale et Nordique, dans les mois ayant suivi l'accident, chez des femmes qui craignaient de donner naissance à un monstre. On évalue à une centaine de milliers le déficit des naissances provoqué par ces pratiques. On ne joue pas impunément avec les nerfs d'une population.
Conclusion
Le nombre avéré de victimes directes des rayonnements dus à Tchernobyl, quinze ans après, ne dépasse pas celui bien accepté d'un accident d'avion de ligne. Il peut y en avoir d'autres dans l'avenir, mais pas autant que certains se plaisent à le répéter. C'est l'aliénation du sol pendant une très longue durée, du fait de sa contamination, qui fait la spécificité de l'accident nucléaire.
Cette aliénation du sol reste d'ailleurs la principale incertitude de
Tchernobyl. Quelle est la limite acceptable du niveau de contamination pour le
retour à la vie normale ? Il est prématuré de le dire.