Superphénix : L'arrêt d'un surgénérateur trop en avance sur son temps. Quel gâchis !

Super Phénix : l'histoire d'un réacteur expérimental prometteur, difficile à exploiter et arrêté pour des raisons politiques.

Le 2 février 1998, la décision de fermeture de Superphénix était officielle.

Superphénix, une centrale de rêve ?

En 1976, les économistes prévoyaient une pénurie et une flambée de l'uranium, ressource naturelle sur laquelle la France avait fondé sa politique énergétique. Ne voulant pas subir le poids d'une augmentation du coût de l'énergie, comme cela avait été le cas lors de la crise du pétrole des années 1973-1974, les autorités ont décidé de favoriser une filière nucléaire totalement nouvelle.
L'objectif était ambitieux : construire une centrale capable de fonctionner avec les déchets des autres centrales nucléaires. Cette voie de recherche offrait deux avantages majeurs. D'une part, les besoins en uranium devenaient moindres, puisque l'on réutilisait les produits issus des centrales classiques, et, d'autre part, on faisait disparaître des déchets dangereux dont on ne savait que faire. A priori, la filière des surgénérateurs semblait idéale.
La France possédait d'ailleurs une petite expérience en ce domaine puisqu'un surgénérateur expérimental, Phénix (à Marcoule, dans le Gard), donnait déjà des résultats intéressants.
Superphénix a donc été construit sur le site de Creys-Malville, dans l'Isère, et mis en service en 1985.

Superphénix est le fruit d'une coopération industrielle européenne.

La centrale de Creys-Malville abrite un prototype industriel de la filière des réacteurs à neutrons rapides, propriété de NERSA (société anonyme ayant pour objet le développement d'une centrale nucléaire européenne à neutrons rapides). NERSA vit le jour en 1973, et réunit trois producteurs européens d'électricité:

- Electricité de France (EDF) - France - 51 %
- EnteNazionale per l'Enregia Electrica (ENEL) - Italie - 33%
- Schnell Brüter Kernkraftwerkgesellschaft (SBK) - Allemagne, Pays-Bas et Belgique - 16% Le groupe SBK regroupe les sociétés RWE (Allemagne : 70,5%), SEP (Pays-Bas : 14,75%), Electrabel (Belgique : 14,75 %).

Une autre société, avec des parts symétriques des partenaires allemands et français, était créée pour réaliser un réacteur similaire en Allemagne, réacteur qui ne vit jamais le jour.

Agissant en qualité d'exploitant, NERSA a confié le fonctionnent des installations à EDF, qui assure cette mission suivant les principes mis en oeuvre dans ses propres centrales, avec son personnel et du personnel d'ENEL et de SBK. La centrale de Creys-Malville emploiyait 710 personnes, dont 689 agents d'EDF, 17 agents d'ENEL et 4 agents d'SBK.

Caractéristiques techniques de Superphénix.

Superphénix est une réacteur rapide refroidi au Sodium. Le coeur est constitué d’un mélange d’oxyde d’Uranium (naturel ou appauvri) et d’oxyde de Plutonium dans la proportion 80% / 20%. La masse de plutonium présente dans le coeur atteint 5 tonnes. Autour du coeur sont disposées des couvertures axiales et radiales chargées, initialement, en Uranium naturel ou appauvri.

La puissance thermique de Superphénix est de 3000 Mégawatts correspondant à une puissance électrique de 1200 Mégawatts. En un an, à raison d’un fonctionnement à pleine puissance de 6600 heures (75 % de taux de disponibilité), 8 Twh devraient être produits. Cette énergie serait produite par la fission de 800 Kg de Plutonium.

En même temps, à partir de l’Uranium 238, 640 Kg de Plutonium sont produits dans le coeur, et 320 Kg dans les couvertures, soit une production totale de 960 Kg de Plutonium. Il s’ensuit une production nette de 160 Kg de Plutonium par an (surgénération). Au bout de 31 ans la quantité de plutonium initiale sera donc doublée (temps de doublement). En remplaçant l’Uranium des couvertures par une matrice inerte le réacteur pourrait devenir sous-générateur, avec une consommation nette de 160 Kg par an, de l’ordre de grandeur de la production annuelle d’un réacteur à eau pressurisée (REP).

Objectifs de la filière des réacteurs à neutrons rapides.

La centrale de Creys-Malville est équipée d'un réacteur à neutrons rapides, refroidi au sodium. D'une puissance de 1240 MWe, ce réacteur s'inscrit dans le programme européen de développement et de mise au point de la filière des réacteurs à neutrons rapides (RNR). Voici les objectifs de Superphénix :

- Maîtrise de régénération du plutonium
Pour une production équivalente d'électricité, trois modes de fonctionnement sont possibles.
        - surgénérateur: le réacteur produit plus de plutonium qu'il n'en consomme.
        - convertisseur: le réacteur produit autant de plutonium qu'il en consomme.
        - incinérateur: le réacteur consomme plus de plutonium qu'il n'en produit; il peut brûler le plutonium de toute origine (civile ou militaire), et convertir les actinides (produits radioactifs à vie très longue) en produits radioactifs à vie courte.

- Utilisation du sodium
L'utilisation de neutrons rapides entraîne une dissipation d'énergie importante dans un faible volume. Pour extraire et transporter la chaleur du coeur, les RNR utilisent un fluide caloporteur efficace ne ralentissant pas les neutrons: un métal liquide, le sodium. Le sodium fond à 180°C et boue à 900°C. Il ne corrode pas les canalisations. Par contre le sodium a aussi la fâcheuse caractéristique de s'enflammer au contact de l'air, et d'exploser au contact de l'eau (suite à un dégagement d'hydrogène).

- Grande inertie thermique
Dans cette filière, seuls les neutrons sont rapides. La grande inertie thermique de la chaudière à circuit primaire intégré, conduit à des variations lentes de température qui permettent aux opérateurs un large temps de réflexion, même en situation perturbée. La température chaude du réacteur est de 540°C, le sodium boue à 900°C. Cet écart de température est considérable lorsqu'on sait qu'il y a environ 5000 tonnes de sodium dans les canalisations de Superphénix. Chauffer une telle masse prend du temps, cette inertie thermique est un réel facteur de sécurité. 

- Évacuation de la puissance résiduelle par convection naturelle
La chaleur produite par les déchets radioactifs après l'arrêt du réacteur est évacuée sans utilisation de pompe à sodium (thermosiphon)

- Faibles rejets
Les rejets thermiques sont environ 30% plus faibles que ceux des autres centrales nucléaires. Les rejets solides, liquides et radioactifs sont pratiquement nuls.

Qu'est-ce qu'un surgénérateur ?

Une centrale de ce type utilise du plutonium 239 comme combustible fissile (5 tonnes dans le coeur du réacteur de Superphénix). Mais son originalité consiste en la présence d'une enveloppe surgénératrice formée d'éléments d'uranium 238 - non fissile - placés autour du coeur. Les neutrons produits au cours de la fission nucléaire traversent  cette enveloppe et transforme l'uranium en plutonium (réutilisable ensuite comme combustible après retraitement dans l'usine de la Hague). Le surgénérateur produit donc, outre une grande quantité d'énergie, de nouvelles matières fissiles susceptibles d'être réutilisées par la centrale.

Illustration du principe de la surgénération, on produit plus de combustible (le plutonium) qu'on en consomme grâce à l'enveloppe d'uranium qui absorbe une partie des neutrons émis.

illustration provenant du site http://holvoet.free.fr

A la différence des centrales classiques qui utilisent de l'eau pressurisée ou non, pour transporter la chaleur vers les turbines, ces réactions dits "à neutrons rapides" emploient du sodium liquide à près de 550°C. La filière des surgénérateurs permet d'extraire 60 fois plus d'énergie que les autres procédés nucléaires pour une même quantité initiale de combustible, et de brûler les excédents de plutonium, d'origine militaire ou civile.

Principe de fonctionnement de Super Phénix.

illustration provenant du site http://holvoet.free.fr

Légende :
1 : coeur (a)
2 : échangeur intermédiaire
3 : pompe primaire
4 : barres de commande
5 : machine de transfert
6 : cuve principale contenant le sodium primaire (b)
7 : dalle
8 : grand bouchon tournant (b)
9 : petit bouchon tournant (b)
10 : cuve de sécurité (c)
11 : dôme

Niveaux des barrières de confinement (a) première barrière .Constituée par les gaines du combustible, elle contient les produits de fission.
(b) deuxième barrière : Enceinte intermédiaire constituée par la cuve principale, la dalle et les bouchons tournants, elle contient le sodium primaire activé.
(c) troisième barrière : Enceinte primaire constituée par la cuve de sécurité et le dôme.
(d) quatrième barrière : Enceinte secondaire constituée par le bâtiment réacteur, elle protège notamment les installations contre les agressions externes.


 Aspects de Sûreté de Superphénix.

Il est instructif de comparer les paramètres de sûreté des réacteurs rapides, tels Superphénix, avec ceux des REP. Il est, en effet, peu connu que, sous de nombreux aspects les réacteurs rapides sont plus sûrs, dans le principe, que les Réacteurs à eau pressurisée.

En ce qui concerne le pilotage et le contrôle ordinaire du réacteur, l’absence des effets Xénon et Samarium (noyaux produits dans la fission capturant très fortement les neutrons et qui sont des poisons neutroniques d’autant plus efficaces que le flux neutronique est faible) les réacteurs rapides(RNR) sont plus souples et plus faciles à contrôler que les REP. En particulier, les RNR autorisent facilement une modulation de la puissance du réacteur. Ceci est très intéressant dans le cas d'un couplage de source d'énergie renouvelable intermittente (éolien, solaire, hydraulique) avec l'énergie nucléaire.

Dans tout réacteur une excursion de criticité est, en principe, possible à la suite d’un retrait intempestif des barres de contrôle. Ce genre d’accident peut arriver aussi bien dans les RNR que dans les REP. C’est au niveau des conséquences de cette excursion que des différences peuvent apparaître. Une cause d’excursion de criticité existe toutefois dans le cas des REP, et non dans celui des RNR : la réactivité des REP est également contrôlée par le mélange d’une quantité plus ou moins grande de Bore à l’eau de refroidissement. Une mauvaise technique d’injection de l’eau borée peut conduire à un accident de criticité. Il n’existe pas de dispositif comparable pour les RNR car le caloporteur ne peut pas être de l'eau car celle-ci à la carctéristique de ralentir les neutrons (d'où le nom filière à neutrons lents pour les REP).

Dans tous les réacteurs nucléaires, qu'ils soient REP ou RNR, des barres de contrôle peuvent plonger dans le coeur à tout moment pour arrêter le réacteur. Ces barres de contrôle sont les modérateurs des réacteurs.

En cas d’excursion de criticité, du à un retrait intempestif des barres de contrôle, il y a lieu de distinguer selon l’ampleur du phénomène. Dans tous les cas l’augmentation de température consécutive à l’augmentation de puissance tend à diminuer la réactivité, et donc à ralentir l’évolution, où, même à la stopper. Une augmentation importante de puissance se traduirait plus rapidement par une évolution grave dans le cas des REP. En effet l’augmentation de température se traduirait par une augmentation de pression de vapeur, et un relâchement de cette vapeur pour éviter une rupture des canalisations. Le coeur pourrait alors se trouver dénoyé et fondre en tout ou partie par manque de refroidissement. Dans le cas des RNR la vaporisation du sodium aurait des effets similaires mais demanderait une excursion de puissance beaucoup plus importante du fait de la haute température d’ébullition du Sodium (880 degrés). De plus la grande capacité calorifique du Sodium conduit à une plus faible augmentation de température pour la même augmentation de puissance. A ce stade, donc, l’avantage est clairement du côté des RNR.. La situation s’inverse si les conditions de perte du réfrigérant ont été atteintes. En effet, dans ce cas, les REP deviennent automatiquement sous-critiques car les neutrons ne sont plus ralentis. En l’absence d’eau liquide le combustible des REP ne permet pas d’obtenir une configuration critique. Il suffira donc d’assurer l’évacuation de la chaleur due à la radioactivité résiduelle du coeur fondu. Dans les conceptions modernes des REP la radioactivité devrait pouvoir être contenue dans l’enceinte de confinement, comme ce fut le cas à Three Miles Island. Dans le cas des RNR, au contraire, la disparition du réfrigérant rend la configuration plus réactive et la réaction en chaîne se poursuivrait alors jusqu'à ce que l’augmentation de la température et la dispersion de la matière fissile conduise à l’arrêt de la réaction en chaîne. Même si une tel accident est très peu probable, il paraît extrêmement difficile d’assurer le confinement de la radioactivité et d’éviter la mise en contact des vapeurs de sodium avec l’air. Le risque d’un accident majeur de type Tchernobyl ne peut donc être complètement exclus. L’accident pourrait même être de plus grande gravité, et plus difficile à traiter, du fait du risque Sodium.

Les hautes pressions présentes dans les REP peuvent induire une rupture brutale des grosses canalisations, et là encore, amener à la disparition du fluide de refroidissement, et donc à la fusion du coeur. Comme signalé plus haut, même dans ce cas, le confinement de la radioactivité devrait pouvoir être assurée. Dans le cas des RNR un dénoyage du coeur dans des conditions analogues (sans excursion catastrophique de puissance) ne paraît pas possible.

Dans les conditions normales, l’utilisation du Sodium est, en fait, la principale préoccupation en matière de sûreté. En effet le Sodium chaud s’enflamme spontanément au contact de l’air et conduit à une réaction explosive au contact de l’eau ou de l’alcool. Des précautions drastiques sont donc prises pour éviter tout événement de ce type, précautions qui expliquent pour une grande part le coût élevé des RNR, et qui entraînent des contraintes sévères d’exploitation. Toute fuite de Sodium entraîne l’arrêt du réacteur jusqu'à réparation du défaut. La situation est toute différente dans les REP où des fuites modestes n’imposent pas l’arrêt du réacteur.

Signalons, enfin, que du fait des précautions extrêmes nécessitées par le Sodium, l’irradiation des personnels de la centrale RNR sont maintenues à un niveau très faible, beaucoup plus faible que dans le cas des REP.

Historique du développement des réacteurs à neutrons rapides ainsi que Superphénix. J'ai mis en parallèle des éléments de l'histoire de la lutte des opposants à Superphénix. Après tout, ce sont ces derniers qui ont gagné la bataille...

1945 Enrico Fermi propose le concept de surgénérateur
1946 Construction du petit réacteur rapide américain Clementine(refroidi au mercure)
1951 Divergence du premier réacteur (US) refroidi au sodium, EBR1
1959 Lancement de la construction Rapsodie(20 Mwatts thermiques)
1965 Mise en service d’EBR2, RNR d’une puissance de 20 Mwatts électriques. Arrêt en 1995.
1967 Divergence de Rapsodie
1968 Début de construction de Phénix (250 Mwatts électriques)
1968 Divergence de BOR60(URSS) RNR de 12 Mwatts électriques (60 Mwatts thermiques). Encore en fonctionnement.
1970 Arrêt pour cause de mauvais fonctionnement du RNR Enrico Fermi(60 Mwatts thermiques)
1972 Divergence de BN350(URSS) RNR de 1000 Mwatts thermiques et 150 Mwatts électriques. Encore en fonctionnement.
1973 Divergence de Phénix
1973 Début de construction du RNR US de Clinch River (400 Mwatts électriques). Contestation anti-nucléaire aux USA.
1973 Création de la société NERSA qui est chargée de la réalisation et de la future exploitation de Superphénix. 
1974 Divergence de la centrale PFR (GB) d’une puissance de 250 Mwe, analogue à Phénix. Cette centrale sera arrêtée en 1994.
1976 Début de la construction de Superphénix
1976-77 Manifestations de masse, et violentes contre Superphénix. Mort d’un manifestant, Vital Michalon. (Juillet 1977)
1977 Signatures du décret d’utilité publique par le Premier Ministre R.Barre et du décret d’autorisation de création par le Ministre de l’industrie, R.Maunoury
1977 Arrêt de la construction du réacteur de Clinch River par le président Carter
1978 : Publication du livre noir de Malville, coordonné par l'historien lyonnais Videlier. Lancement de l'appel de Genève: 50 000 scientifiques le signeront.
1979 Accident de Three Miles Island (REP américain)
Pétition nationale énergie demandant, entre autres, l'arrêt du chantier de Superphénix, François Mitterrand signe comme de nombreuses personnalités du PS. 500 000 signatures collectées.
1980 Divergence de BN600 (URSS) RNR de 1470 Mwatts thermiques et 600 Mwatts électriques, le plus puissant, à l’époque. Encore en fonctionnement. A produit plus de Kwh qu’une centrale thermique classique de même puissance.
Octobre 1981 Débat au parlement entérinant la politique électronucléaire du gouvernement, y compris en matière de surgénérateurs.
Du côté des antinucléaires : première manifestation contre les reniements du PS. 5 000 personnes à Paris. Lancement de la construction d'une maison autonome face à Superphénix. Plusieurs personnes mettent en place des alternatives concrètes comme Maurice François, voisin, qui vend de l'électricité à EDF produite par biogaz.
Janvier 1982 Attentat à la roquette contre la centrale en construction. Que des dégâts matériels. Quelques années plus tard, on apprendra que l'auteur de ce tir était Chaïm Nissim, un ancien député écologiste genevois. 
1984 Remplissage en sodium
Septembre 1985 Première divergence. A noter que le temps de construction de Superphénix a été tout à fait comparable à celui de REP de puissance équivalente lancées à cette époque (une année de plus environ)
Janvier 1986 Couplage au réseau EDF
Avril 1986 La centrale de Tchernobyl explose et relance la lutte des opposants à Superphénix qui s'étaient épuisés jusqu'ici.
Décembre 1986 Pleine puissance atteinte
Mars 1987 Détection d’une fuite de sodium dans le barillet de stockage des éléments combustibles (en attente de transfert soit vers le coeur soit vers l’extérieur). Cette fuite, où du sodium coulait dans l'espace intermédiaire, était due à un acier défectueux ne résistant pas à la corrosion par le sodium. Le barillet sera remplacé par un dispositif simplifié mis en place en 1991. Entre temps le réacteur fonctionna épisodiquement du fait des travaux nécessités par ces modifications. 
Du côté des antinucléaires : Opération kiloouate : des couches-culottes pétitions sont envoyées à EDF. Jour de jeûne pour le dixième anniversaire de la mort de Vital Michalon, 50 personnes devant l'entrée de Superphénix. La ville de Genève demande au gouvernement français de ne pas redémarrer le réacteur. L'Italie vote l'arrêt de son programme nucléaire. Les députés d'extrême gauche manifestent devant Superphénix pour demander le retrait des capitaux italiens (33% de NERSA).
Janvier 1989 Nouveau décret du gouvernement (Premier Ministre M.Rocard et Ministre de l’industrie R.Fauroux) autorisant le redémarrage de Superphénix après remplacement du barillet et 20 mois d'arrêt.
Du côté des antinucléaires : Campagne de cartes postales pour protester sur le thème « Joue pas avec ma vie », 130 000 cartes diffusées dont 50 000 en Suisse. Naissance des Européens contre Superphénix qui, la première année, fédère 75 associations. Manifestation nationale à Berne contre Superphénix, 8 000 personnes. Une pièce de rechange de Superphénix est bloquée pendant trois jours en Italie par des ouvriers qui dénoncent le non-respect du gouvernement italien.
Juin 1990 Détection d’un faible fuite d’air polluant le sodium. La fuite se situait au niveau d’un compresseur du circuit d’argon. Opération d’épuration du sodium pendant 8 mois.
Décembre 1990 A la suite d’une grosse chute de neige, effondrement du toit du bâtiment des alternateurs (partie classique). Arrêt de la centrale.
Mai 1991 Annulation en Conseil d’Etat du décret de Janvier 1989
Juillet 1991 Remise en état d’un groupe d’alternateur. Le réacteur serait prêt à redémarrer, si une décret d’autorisation était disponible.
Octobre 1991 La DSIN demande à la NERSA d’améliorer les dispositifs de lutte contre les feux de sodium (suite à un incendie ayant eu lieu dans une centrale solaire espagnole refroidie au sodium)
Avril 1992 P.Beregovoy Premier Ministre
Mai 1992 Le Comité des Applications de l’Académie des Sciences et l’Office Parlementaire des Choix Technologiques demandent au gouvernement que le nouveau décret de redémarrage soit pris sans tarder.
Juin 1992 Remise en état du deuxième groupe d’alternateur
Juin 1992 La DSIN autorise un redémarrage à puissance réduite en attendant la fin des travaux sur la prévention des feux de sodium.
Juin 1992 Le Premier Ministre (socialiste) décide de surseoir au redémarrage en attendant les résultats d’une nouvelle enquête d’intérêt public. Celle-ci était de droit en Juillet, le réacteur ayant été arrêté deux ans à cette date. 
Fête des antinucléaires à Lhuis, 2 000 personnes.
Juillet 1992 Rapport Curien montrant les possibilités de Superphénix pour étudier l’incinération des actinides mineurs dans les RNR
Mars 1993 Ouverture de l’enquête publique. 
Du côté des antinucléaires, plus de 30 000 personnes expriment un avis négatif (soit 96,4 %des avis exprimés). Publication d'un «Appel à la raison » dans la presse, signé par 200 scientifiques.
Septembre 1993 Avis favorable de la commission d’enquête
Février 1994 Décision du Premier Ministre E.Baladur de redémarrer Superphénix
1994 : Explosion lors du démantèlement du surgénérateur expérimental Rapsodie à Cadarache. Le principal spécialiste des feux de sodium meurt écrasé sous une dalle de béton. 
Du côté des antinucléaires, deuxième marche Malville-Matignon. 500 kilomètres avec de nombreux détours. Plus de 10000 marcheurs se relaient. 5 000 participent à la dernière étape dans Paris. Une carte postale envoyée à Balladur est diffusée à plus de 140 000 exemplaires. La marche est soutenue par plus de 300 groupes. 
Juillet 1994 Signature du décret de redémarrage, tenant compte d’un programme de recherches évalué par C.Detraz et R.Dautray. 
Du côté des antinucléaires, lancement d'une campagne de plaintes pour « mise en danger de la personne ». Plus de 5 000 personnes font la démarche. Toutes les plaintes sont classées « sans suite ». EDF doit s'engager à fournir 18 milliards de francs sous forme d'électricité à ses partenaires allemand et italien qui veulent quitter le navire.
Août 1994 Redémarrage à faible puissance. Légère fuite d’argon détectée, difficilement localisée et réparée à l’été 1995
1995 : Incendie de sodium dans le surgénérateur japonais de Monju. Celui-ci ne redémarrera pas.
Du côté des antinucléaires, campagne « Démocratie et nucléaire » toujours sous forme de cartes postales. Soutenue par plus de 250 associations. Opération «Les aliments de la vie » dans plus de 100 communes voisines de Superphénix : livraison d'un panier de légumes et de fruits frais non encore radioactifs au maire. Demande lui est faite de rejoindre les communes suisses de plus en plus nombreuses à porter plainte contre le gouvernement français (20 communes suisses + la région italienne du Val d'Aoste). 
Octobre 1995 Constitution de la Commission Castaing chargée d’évaluer l’avenir de Superphénix
1996 Fonctionnement très satisfaisant de la centrale fonctionnant à puissance croissant progressivement conformément aux recommandations des autorités de sûreté. En décembre 1996 la puissance atteignait 90% de la puissance nominale. Production de 3.4 Twh, ce qui correspond à la moitié de la production habituelle d’une tranche EDF normale.
Du côté des antinucléaires, première non-manifestation sur le thème « Superphénix ne marche pas et nous non plus », les gens sont invités à envoyer une paire de chaussures pour les mettre devant la centrale ; il y aura plus de 10 000 paires de chaussures ! La photo très spectaculaire fera le tour du monde. Exposition itinérante dans dix villes de Rhône-Alpes sur le nucléaire et ses alternatives. Manifestation pour les dix ans de Tchernobyl, 500 personnes. La ville de Besançon porte plainte.
Juin 1996 La Commission Castaing remet son rapport et conclut à l’utilité de Superphénix pour étudier l’incinération des actinides et la transmutation des produits de fission. Démission de R.Senet, en désaccord avec la majorité de la Commission.
Février 1997 Annulation en Conseil d’Etat du décret de redémarrage de Juillet 1994
Juin 1997 Conformément à ses engagements de campagne le nouveau gouvernement de L.Jospin annonce la fermeture définitive de Superphénix. Multiples manifestations de partisans du nucléaire contre l'annonce de fermeture du réacteur.
Du côté des antinucléaires : Nouvelle campagne de cartes postales pour la première fois sur le thème de la « Sortie du nucléaire ». 90 000 cartes diffusées. 48 h de jeûne pour le 20e anniversaire de la mort de Vital Michalon, plus d'une centaine de jeûneurs puis près d'un millier de manifestants le dernier jour. Les Européens contre Superphénix disparaissent au profit du Réseau Sortir du nucléaire qui compte à ce jour plus de 680 associations et 15000 adhérents.
Janvier 1998 Le Conseil des Ministres confirme que Superphénix ne redémarrera pas.


Voici quelques notes que j'ai prises suite à des conversations intéressantes :

Georges Vendryes a été dès la fin des années 1950 le promoteur des surgénérateurs. (Il a écrit un livre sur Super Phénix)

Le rôle du sodium

Le problème principal auquel ont été confrontés les ingénieurs a été de maîtriser le sodium fondu qui permet d'extraire la chaleur produite par la réaction nucléaire. On ne peut pas utiliser de l'eau comme dans les réacteurs actuels car l'eau ralentit les neutrons, or pour que la réaction de surgénération se passe, il faut que les neutrons aient la plus grande vélocité. C'est pourquoi on a utilisé du sodium fondu. Ce sodium présente des risques importants, il explose au contact de l'eau et brûle spontanément au contact de l'air. L'étanchéité du circuit primaire est donc essentielle, en particulier lors des vidanges des cuves. On utilise de l'argon pour remplir les vides. Il faut savoir cependant qu'un feu de sodium s'arrête dès l'instant qu'on l'étouffe, il s'agit d'un feu lent, peu violent, qui couve et qui n'a pas une grande capacité de propagation dans une canalisation fermée puisqu'il faut de l'oxygène. Des réserves de poudre mescaline avaient été mises en place pour écarter ce risque, cette poudre ayant la capacité d'étouffer un feu de sodium. Le risque d'inflammabilité reste le point le plus critique de ce réacteur et je juge acceptables les précautions qui ont été prises pour le contrer.

Le sodium a par ailleurs de nombreux avantages sur d'autres caloporteurs : 

Le sodium est un caloporteur, il transporte la chaleur émise par la réaction nucléaire vers un échangeur qui permet la production de vapeur nécessaire au mouvement des turbines génératrices.

La température de fusion du sodium est de 180°C, la température chaude en sortie de réacteur est de 540°C et la température d'ébullition du sodium est de 900°C. L'intérêt du sodium est que c'est un caloporteur qui dispose d'une grande inertie thermique. Ceci est un facteur évident de sécurité car cela laisse davantage de temps aux techniciens pour arrêter le réacteur en cas d'emballement de la réaction.

 

Les incidents techniques de Super Phénix

Super Phénix est entré en pleine puissance en 1986. 

Le premier incident a eu lieu en mars 1987. Il concerna le barillet de déchargement du combustible nucléaire. Ce barillet est une cuve cylindrique où on laisse refroidir le combustible usagé un certain temps. Une fuite de sodium est apparue dans l'espace intermédiaire.

Les journalistes venus visiter la centrale pour rendre compte de l'incident ont été très déçus car la fuite était non significative. On ne voyait rien de l'extérieur. 

On n'a jamais trouvé la raison de cet incident, on a jamais réussi à reproduire en laboratoire. L'acier utilisé était différent de celui de Phénix, il était théoriquement plus solide, c'était un alliage spécial.

On est alors entré dans un processus juridique très long, de l'ordre de 18 mois. Cet incident avait déclenché la méfiance de l'Autorité de Sûreté Nucléaire qui se demandait si les ingénieurs en charge de la construction de la centrale avaient bien travaillé ou non. Le barillet d'origine était vide et un autre moins complexe a été construit. 

Ce premier incident a ravivé les opposants au nucléaire.

Le deuxième incident a été la pénétration d'air dans la cuve principale à cause d'un compresseur fuitar. De l'air est donc rentré dans l'atmosphère d'Argon qui permet au sodium de ne pas brûler. La pureté du sodium se dégradait et c'est comme cela que les techniciens ont découvert la fuite. Il n'y avait pas vraiment d'urgence car les quantités d'air introduites étaient très faibles, mais le compresseur a été changé normalement. 

Ce deuxième incident a montré l'intérêt de tester en permanence la qualité de l'argon avec un spectrographe de masse. Phénix disposait de cet appareil et Super Phénix n'en avait pas été équipé car on n'avait jamais rien vu au cours de l'exploitation de Phénix. Avec un tel appareil, on aurait pu identifier beaucoup plus rapidement la pénétration de l'air dans l'atmosphère d'argon.

Après neuf mois de procédure administrative, Super Phénix a pu redémarrer.  

Le troisième incident a été la corrosion d'un tube qui descendait sous les échangeurs intermédiaires. Ce tube servait a récupéré des échantillons (ou vidanger un circuit ?). Il a été réparé en le bouchant. A la suite de cet incident, on a imposé certaines contraintes de fonctionnement en réduisant la puissance.

En 1992-1993, les opposants ont joué sur des procédures qui ont trouvé écho dans les médias et les politiques.

Un rapport de la cours des comptes montrait que Super Phénix coûterait au total 60 Milliards de Francs. En réalité ce rapport a complètement négligé les recettes de l'exploitation de Super Phénix. 

 

La question des surgénérateurs : sans nier le fait que cette filière soit plus "délicate" que celle des PWR, il nous semble que les risques qu’elle présente actuellement en France sont quelque peu surestimés : un risque, au sens scientifique, est le produit de la gravité d’un événement nuisible par la probabilité de sa réalisation. Or, Phénix, étant un "modèle probatoire", Super-Phenix un prototype, ces deux installations ont bénéficié d’un maximum de sécurité, tant dans les moyens de détection , contrôle, protection, que - surtout - dans les protocoles de pilotage.

Ceci explique les très nombreux arrêts de fonctionnement : on ne se contente pas de "dépanner", mais on cherche la cause profonde du moindre incident pour y remédier définitivement. (Pannes exclusivement de "plomberie", d’ailleurs.) Comme le disent les cadres de ces centrales : "Si nous avions le moindre doute, nous n’aurions pas installé nos familles à moins de 2 km."

 

Comme le réacteur de Tchernobyl, Super Phénix présentait la particularité de pouvoir être l'objet d'un accident de "criticité prompte" par emballement de la réaction nucléaire.

Ceci est faux car les barres de combustible étaient composées d'un mélange de plutonium et d'uranium. Le mélange contenait 20% de plutonium et 80% d'uranium. L'enrichissement en plutonium était insuffisant pour qu'il se produise une réaction en chaîne type bombe atomique. Pour faire une bombe, il faut un taux d'enrichissement en plutonium proche de 90%. On en est très loin avec l'enrichissement à 20% de plutonium du combustible de Super Phénix. De plus une explosion atomique nécessite que l'on précipite deux masses de plutonium l'une contre l'autre au moyen d'un explosif chimique très puissant. Et heureusement les ingénieurs ont eu la bonne idée de ne pas disposer ce type d'explosif dans la centrale. Il faut que ces deux masses de plutonium pratiquement pures, ces deux demi sphères, soient maintenues suffisamment longtemps pour que l'explosion se passe. Les conditions pour que Superphénix explose à la manière d'une bombe atomique sont donc loin d'être réunie. Cet argument sur le risque d'explosion atomique véhiculé par les opposants aux surgénérateurs est donc totalement irrecevable. 

Le seul risque d'explosion qu'il peut exister avec Superphénix est lié à l'explosion d'une bulle d'hydrogène qui se formerait suite à la pénétration d'eau dans le circuit de sodium. Mais ce risque reste minime et n'aurait pas de conséquences catastrophiques à l'image de Tchernobyl. (A vérifier!)

 


Objections fréquentes à la poursuite de l'exploitation de Superphénix :

Superphénix a passé l'essentiel de son existence à l'arrêt suite à des pannes. Dix mois de fonctionnement équivalent pleine puissance en dix ans et de nombreuses avaries graves montrent que la centrale Superphénix est inutile.

Superphénix est dangereux :
- Superphénix contient 5 tonnes de plutonium, élément radio-actif le plus dangereux jamais créé par l'homme (un millionième de gramme peut provoquer un cancer),
- Superphénix contient 5 000 tonnes de sodium liquide pour évacuer la chaleur du coeur : cet élément est inflammable à l'air et on ne sait pas arrêter un incendie de plus de quelques kilos de sodium; il est aussi explosif en présence d'eau, et une simple paroi d'acier dans les générateurs de vapeur sépare le sodium du circuit d'eau sous pression qui va vers les alternateurs.
- La configuration interne du coeur du réacteur (coefficient de vide positif) de Superphénix présente un risque intrinsèque "d'excursion" nucléaire, c'est à dire d'explosion du type de Tchernobyl.

Superphénix est coûteux :
- Le bilan économique de Superphénix est négatif, puisqu'il coûte 60 milliards de francs (source : Cour des Comptes). Quand Superphénix vend 1 F d'énergie, il faut 7,70 F pour la produire.
- anti-social : Le bilan en termes d'emplois pose question. Le coût annuel de Superphénix est de 2,4 milliards/an pour 600 emplois directs, soit un ratio de 4 millions de francs par emploi ! Avec une hypothèse très haute d'un coût de 500 KF/emplois, applicable à la plupart des activités économiques, c'est au minimum 8 fois plus d'emplois que pourrait entretenir EDF pour la même somme.

Superphénix est inutile :
- Conçu théoriquement pour produire de l'électricité en même temps que pour fournir plus de plutonium qu'il n'en consomme ("surgénération"), Superphénix a totalement échoué sur les deux tableaux : suite à des arrêts, pannes et incidents à répétition, il n'a pu fonctionner l'équivalent de 10 mois en plus de 10 ans, et a donc très peu produit d'électricité. Au contraire, il a fallu l'alimenter en électricité provenant d'autres réacteurs pour maintenir l'installation et le sodium sous forme liquide. Quant au plutonium, déchet inévitable des centrales nucléaires "classiques" que l'État et la COGEMA s'entêtent à retraiter La Hague, on en a tellement en stock qu'on ne sait plus quoi en faire, surtout depuis la limitation des armements atomiques.
- D'où la tentative lumineuse de faire de Superphénix un "incinérateur" (plus précisément un "sous-générateur"), c'est à dire exactement le contraire de sa destination initiale : c'est ce que le gouvernement a tenté de faire avaler en 1993 à une opinion publique désorientée ... Outre le fait qu'il n'y aurait en définitive qu'une modification de la répartition des différents éléments radio-actifs sans en réduire significativement le danger, ce mode de fonctionnement théorique n'a jamais pu être validé expérimentalement, surtout à cette échelle, et un engin d'une telle dimension n'est certainement pas le mieux adapté pour faire des expériences. En admettant même que cela aurait pu fonctionner, Superphénix ne serait capable de "consommer" que 2% du plutonium issu annuellement de la soixantaine de réacteurs classiques et seulement après 2005... sans compter le stock accumulé à ce jour, et sans parler des déchets radio-actifs générés par l'opération elle-même.
- Sur un plan pratique, un tel fonctionnement aurait nécessité de changer le coeur de Superphénix; or celui actuellement en place, à peine "entamé", ne peut être que surgénérateur, ainsi que le deuxième coeur, déjà fabriqué et stocké "en attente". Mais surtout "on" a oublié de mentionner cette nouvelle destination dans les documents d'enquête publique qui ont précédé le décret de (re-)démarrage de 1993 (signé par un certain B. Lalonde). D'où l'annulation de ce décret il y a quelques mois par le Conseil d'État à la suite des recours, ce qui a pour conséquence, sur un plan strictement juridique, que Superphénix n'est pas autorisé à fonctionner actuellement. Ceci est de nature à faciliter singulièrement son arrêt définitif...

Au-delà de ces débats techniques et juridiques, la preuve a en tout cas été faite maintes fois que cet engin ne sert à rien, puisque tout le monde s'en est très bien passé jusqu'à présent.


Conclusion

Super Phénix a montré qu'il était difficile à exploiter du fait des sommes de précautions liées à la présence du sodium liquide. Le sodium étant dangereux, il faut prendre une somme de précaution qui gène l'exploitation du réacteur.

 


Bilan du fonctionnement de Superphénix.

En 11 ans la centrale a connu les situations suivantes :
- 53 mois de fonctionnement normal, mais, la plupart du temps à faible niveau de puissance.
Jusqu’au mois de Décembre 1994 le réacteur aura été couplé au réseau EDF pendant 10 mois et produit 4.3 Twh, correspondant à des recettes (en Francs 1995) d’environ 1 milliard de francs. En 1996 le réacteur a été couplé pendant environ 8 mois et aura produit 3.4 Twh pour 850 millions de francs.
- 25 mois d’indisponibilité due aux travaux nécessités par les incidents techniques décrits plus haut
- 66 mois d’arrêt en attente de décisions politiques ou administratives.

Ces chiffres montrent, à l’évidence, que Superphénix a, avant tout, été l’objet d’une intense lutte politique qui a d’ailleurs, abouti à la décision finale de l’arrêter. S’il est vrai que les incidents techniques ont été trop nombreux et ont été onéreux, on ne souligne pas suffisamment que la guérilla politiquo-administrative a eu, elle aussi un coût important. Comme nous le verrons le coût d’exploitation de la centrale, qu’elle marche ou non, est de l’ordre du milliard de francs par an. Le fonctionnement modeste de 1996 a permis de couvrir ces frais. On peut donc estimer que les arrêts de Superphénix ont coûté de l’ordre de 8 Milliards dont près de 6 Milliards dus à la guérilla. Il est piquant de constater que les premiers à dénoncer le coût de Superphénix comptent parmi les principaux responsables de cet état de chose. Mais c’est de bonne guerre.

Les coûts

Le rapport de la Cour des Comptes présente une estimation comptable du coût prévisionnel de Superphénix au 1 janvier 2001. La tonalité d’ensemble du rapport est critique vis-à-vis de Superphénix, même au niveau de sa justification technique et industrielle. Il n’en est que plus précieux pour établir des chiffres peu contestables, y compris lorsqu’on en vient à considérer les conséquences financières de la décision d’arrêt immédiat. Les coûts sont exprimés en francs 1994.

Rappelons que les coûts de la centrale ont été entièrement couverts par la NERSA, et, donc, pour la moitié par EDF. Les contribuables n’ont pas, jusqu’ici, été mis à contribution.

Au 31 Décembre 1994 la NERSA avait déboursé 34.4 milliards de francs. Les dépenses de 1995 à 2000 inclus sont estimées par le Cour à 7 milliards tandis que les recettes varient, selon le taux de disponibilité, entre 5(taux de 35%) et 9(taux de 60%) milliards, soit un bénéfice net compris entre -2 et +2 milliards. En moyenne, selon les estimations de la Cour, le fonctionnement de Superphénix entre 1995 et 2000 était donc gratuit. En cas d’arrêt de la centrale fin 2000, il fallait envisager des charges supplémentaires de 27,4 milliards. On arrive donc bien à un coût total compris entre 60 et 64 milliards de francs. On peut remarquer que, dans des conditions analogues, le coût d’une centrale REP ayant très peu fonctionné avant que son arrêt définitif ait été décidé se situerait aux environs de 30 milliards de francs. Au contraire, une telle centrale ayant fonctionné 30 ans produirait pour environ 60 milliards de francs de courant et n’aurait rien coûté à EDF.

Une estimation analogue, mais plus éclairante que celle de la Cour des Comptes, a été faite par G.Vendryes, et nous en rendons compte ci-dessous.

Les dépenses d’investissement pour la centrale et ses annexes se sont élevées à 29,8 milliards, soit environ deux fois et demi le montant qui serait nécessaire pour un REP de puissance équivalente. Deux coeurs ont été réalisés, dont le coeur actuel et un coeur de remplacement pour un montant total de 2 milliards. Enfin les dépenses d’exploitation nettes se montaient, fin 1996, à 12,5 milliards. Le total des dépenses faites ou engagées, fin 1996, s’élevaient donc à 44,3 milliards. Les dépenses futures inéluctables se montent à 2,7 milliards pour le retraitement du combustible et sont estimées à 5,8 milliards pour le démantèlement. Selon cette estimation on aboutit donc à un coût total de 52,8 milliards en 1996. Si on prend en compte les dépenses d’exploitation jusqu’en 2000 il faut ajouter 4 milliards supplémentaires mais les produits de l’exploitation viendraient alors en déduction.

Comment se traduira, sur le plan financier, la décision d’arrêter définitivement Superphénix le 1 Janvier 1997 ? A la demande de la Cour des Comptes les administrations concernées ont évalué le gain attendu d’un fonctionnement jusqu’au 31 décembre 2000, par rapport à une arrêt le 1 janvier 1995. Avec un taux de disponibilité de 25% le gain estimé est de 3,7 milliards, et de 4,7 milliards avec un taux de disponibilité de 50 %. Nous pouvons essayer de retrouver ces chiffres. Tout d’abord il faut rappeler qu’un coeur permet de produire 17 Twh. Pour un taux de disponibilité de 100 % Superphénix produirait 10,8 Twh. Une production à 25% de disponibilité pendant 6 ans conduit à une production de 16,2 Twh et donc peut être obtenue avec les deux coeurs existants. Les 16,2 Twh rapportent alors 4 milliards pour un prix de l’électricité de 25 centimes. La production obtenue pour un taux de disponibilité 50 % serait de 34,2 Twh. Les deux coeurs existants permettaient d’escompter une production de 27,4 Twh. Il faudrait donc réaliser un coeur supplémentaire pour un coût de 1 milliard, et un coût de retraitement du combustible de 1,3 milliards. Selon ce calcul le bénéfice serait donc de 5,7 milliards , légèrement supérieur à l’estimation donnée ci-dessus. Par ailleurs un arrêt avant 2001 libérerait les partenaires d’EDF de l’obligation de prendre en charge la moitié des frais d’exploitation correspondant à 3 milliards de francs. Les gains deviennent alors de 7 milliards pour le taux de disponibilité de 25 % et de 8,7 milliards pour le taux de 50%. Nous pouvons actualiser ce type de calcul pour l’arrêt en 1997. La défaillance des partenaires coûtera 2 milliards, conduisant à un gain total de 4,7 milliards pour un taux de 25 % et de 6 milliards pour un taux de 50 %.

Finalement on peut se demander si, au delà de 2001, le fonctionnement de Superphénix pourrait être bénéficiaire. En admettant une production annuelle de 8 Twh, qui paraît un maximum, la production d’électricité rapporterait 2 milliards par an. En dépense il faut compter 1 milliard de coût d’exploitation, environ 0.5 milliard pour la consommation du coeur (1 coeur tous les 2 ans) et 0.7 milliard pour le coût de retraitement du combustible usagé. On voit donc qu’il n’est guère envisageable que le fonctionnement de Superphénix puisse être financièrement bénéficiaire.

 

Bibliographie :

Bernard Michel, Résumé des 20 dernières années du combat contre Superphénix, 16 septembre 1999, texte disponible dans les archives sur réseau sortir du nucléaire, http://www.sortirdunucleaire.org

Autres sites visités pour réaliser cette page :

http://holvoet.free.fr

http://perso.club-internet.fr/pieral/nuclear1.html

http://membres.lycos.fr/resister/index.shtml

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Dernière mise à jour : 29 janvier 2006
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