L'énergie hydraulique : Un potentiel de développement presque épuisé.

              

        "Les barrages seront construits dans votre intérêt. Ils apporteront le progrès." Déclaration de l'ingénieur en chef de la compagnie d'électricité brésilienne Electronorte devant un millier d'Indiens d'Amazonie.

La vie d'un fleuve, comprendre le cycle de l'eau.

        Les fleuves et rivières font vivre les hommes qui pêchent dans ses eaux et les agriculteurs qui bénéficient de l'apport de limon fertile. La plupart des civilisations anciennes se sont bâties autour des fleuves. La civilisation égyptienne s'est construite autour du Nil. La civilisation grec s'est organisée sur des plaines côtières alimentées par des petites rivières. Partout en Europe et dans le monde, les villages puis les villes se sont construites autour des cours d'eau.
        Les cours d'eau vivent au rythme du cycle des crues et des décrues. Lors des crues hivernales, les eaux sont chargées de limons fertiles qui se déposent sur les sols de cultures et permettent ainsi d'enrichir la terre. Les paysans ont depuis la nuit des temps craint et vénéré ces périodes d'inondations.
        Couper un cours d'eau avec un barrage perturbe ce cycle de crue et de décrue. Les barrages sont souvent présentés comme des solutions pour éviter les effets désastreux des inondations. Ce n'est que des années plus tard que les paysans vivants en aval regrettent le cours naturel du fleuve. 

        "Pendant plus d'un demi-siècle, nous avons cru que les grands barrages délivreraient le peuple indien de la faim et de la misère. C'est le contraire qui s'est produit."  Arundhati Roy, écrivain indienne, auteur du Dieu des petits riens.

L'énergie hydraulique : quelques généralités

        Les barrages permettent de capter l'énergie du cycle de l'eau. Ils transforment l'écoulement de l'eau en énergie électrique. Cet écoulement à la surface de la Terre représente un potentiel énergétique considérable.
        Les avantages de l'hydroélectricité sont présentés comme ceci : longévité des ouvrages, modicité d'entretien, souplesse de fonctionnement (association favorable avec d'autres énergies intermittentes), possibilité d'associer la production à d'autres usages (écrêtement ou laminage des crues, soutien des étiages (lorsque le cours d'eau est à son plus bas niveau, vers la fin de l'été), alimentation urbaine...), source nationale ou locale, renouvelable et propre. Il me semble cependant que certains de ces avantages sont discutables et ne contrebalancent pas les inconvénients. 

        En France, du fait de nos montages et de notre climat tempéré, les barrages constituent l'essentiel de nos sources d'énergies renouvelables. L'équipement des grands sites aménageables est presque achevé. La capacité de production atteint au total 25 GW en 2000 et cette même année les barrages ont produit 72.5 TWh d'électricité. La part de l'hydraulique dans la production totale d'électricité se réduit : elle est passée de 27% en 1973 à 13.9% en 2000. L'eau retenue par ces barrages constituent un stock d'énergie électrique qui peut à tout moment être injecté dans le réseau EDF. Les barrages sont donc très complémentaires des autres énergies intermittentes ou peu adaptables. La complémentarité avec l'énergie nucléaire est indiscutable lors des pics de consommation au coeur de l'hiver.

L'énergie hydraulique est-elle réellement propre ?

        Première interrogation : l'énergie hydraulique est-elle une énergie renouvelable, et donc une énergie durable ? Malgré la constance du cycle de l'eau sur notre planète, la question de la durabilité de son exploitation se pose en effet puisque la sédimentation provoque de multiple dysfonctionnement à moyen terme. De nombreux barrages ont été fermés prématurément et sont totalement incapables de produire le moindre kWh d'électricité. Qu'on ce le dise, l'énergie hydraulique sous forme de grands barrages n'est pas une énergie réellement renouvelable.

        Seconde interrogation : l'énergie hydraulique est-elle favorable à l'agriculture ? Outre le fait que les barrages constituent une réserve d'électricité facilement mobilisable, ils constituent également des stocks d'eau pour les agriculteurs. Ils permettent de faire face aux périodes de sécheresses et protègent des inondations. Ceci est cependant à confronter au fait qu'habituellement une rivière qui inonde des champs dépose du limon qui les fertilise. Les terres protégées des inondations par les barrages sont donc des terres qui s'appauvrissent et les agriculteurs sont obligés de compenser ce manque d'engrais naturels par des engrais qui sont aujourd'hui majoritairement synthétiques. Le bilan global n'est probablement pas très bon. Je n'ai pas sous la main des calculs qui me permettent de prouver cette supposition, il s'agit seulement d'une intuition et dès que j'aurai sous la main un spécialiste, je ne manquerai pas de lui poser la question.

        Troisième interrogation : l'énergie hydraulique permet-elle de lutter contre l'effet de serre ? En 1999, 63% de l'électricité mondiale étaient produits à partir des combustibles fossiles, le charbon étant le plus utilisé. La production d'électricité dans le monde pose le très sérieux problème du changement climatique. Comparée aux énergies fossiles et même à l'énergie nucléaire, l'énergie hydraulique apparaît au premier abord comme une énergie vertueuse. Pourtant les barrages ne sont pas exempt d'émissions de gaz à effet de serre. Le bilan global en terme de gaz de serre pourrait même être catastrophique pour plusieurs raisons :
- La construction du barrage nécessite du béton et des gravas, ce qui conduit à une dépense énergétique initiale colossale et ce qui est fortement émetteur de gaz carbonique. En effet pour obtenir du béton, il faut chauffer du calcaire à 1450°C pour le décarboniser. Outre la décarbonisation du calcaire, cette importante chaleur est obtenu en brûlant du combustible fossile, qui peut être du fioul, du gaz, des pneus... L'ensemble du processus est frottement émetteur de gaz carbonique. Cependant il faut bien reconnaître que c'est moins pire que de construire une centrale thermique qui brûlera pendant des décennies des millions de tonnes de charbon, de fioul ou de gaz.
- Dans les régions tropicales, lors de la mise en eau d'un barrage, la végétation noyée se décompose et dégage une grande quantité de méthane lors des premières années. Ces émissions initiales peuvent conduire le barrage a être deux à trois fois plus polluant qu'une centrale thermique classique. Le rejet se poursuit ensuite faiblement, avec le développement et la putréfaction des algues si l'eau est chaude et manque d'oxygène (caractéristiques typiques des retenues tropicales). Il résulte de ce constat des émissions initiales et continues de méthane que sur une exploitation d'une centaine d'année, les plus "mauvais" barrages tropicaux dégagent autant de gaz à effet de serre qu'une centrale thermique, et les meilleurs de 5 à 10 fois moins. Quant aux barrages situés dans les régions tempérées ou d'altitude, ils en rejettent de 28 à 70 fois moins.
- Le destin de tout barrage est de se remplir de limon et il arrivera un moment (plusieurs centaines d'années) où de vastes lacs artificiels deviendront de vastes marécages. Ces zones humides seront le siège d'une importante activité fermentaire anaérobie.  On aura alors l'émission de grosses quantités de méthane, ce qui contribuera fortement à l'effet de serre. Ceci ne sera pas valable pour les barrages situés à des latitudes élevés, grosso modo au delà du 45ème parallèle, et à des altitudes élevées car les basses températures ne permettent pas une intense activité fermentaire susceptible d'émettre beaucoup de méthane. 
- Enfin, l'énergie "propre" produite par le barrage sous forme d'électricité pourrait être équivalente à l'énergie dépensée dans les engrais agricoles en aval du barrage pour compenser la perte de limon. J'attends ici les calculs d'un spécialiste.

        De toutes ces remarques, il ressort que les barrages les plus critiquables sont les grands barrages de plaine dans des pays situés à des latitudes faibles (donc situés dans les zones tropicales et équatoriales). Les grands barrages situés en Europe du Nord, en Sibérie et au Canada restent des capteurs énergétiques intéressants puisque comme on a pu le voir, ils émettent entre 28 et 70 fois moins de gaz à effet de serre que les centrales thermiques.

        L'énergie hydraulique est donc loin d'être vertueuse sur de nombreux niveaux. Outre qu'ils ne représentent pas des capteurs énergétiques réellement durables et qu'ils peuvent conduire à d'importantes émissions de gaz à effet de serre dans les régions chaudes, les barrages ont d'autres impacts négatifs, en particulier sur la faune, la flore et l'aménagement du territoire. En se remplissant une retenue d'eau anéantie l'écosystème de toute une vallée et prive ainsi l'homme de terres de culture et d'habitations. Les barrages bloquent les poissons migrateurs qui avaient l'habitude de remonter le courant. L'électricité produite en retour est finalement une bien maigre consolation, comparé au tribut que paye la nature.

        Les barrages constituent un héritage dont nous aurons la charge de prendre soin pour que ces constructions produisent une électricité relativement propre le plus longtemps possible. Il faudra s'accommoder de longues périodes de pénuries d'énergie chaque année pour vider les retenues et permettre une évacuation du maximum de sédiment. Ce n'est qu'à ce prix que les barrages pourront durer le plus longtemps possible. Il me semble cependant inévitable que malgré les efforts des générations futures pour conserver ces outils, les lacs artificiels sont condamnés à se remplir de sédiments, et donc à se transformer en plaines inondables très fertiles comme avant l'avènement de ces constructions pharaoniques.

        Nous avons peu à espérer de nouvelles constructions. Les meilleurs gisements hydrauliques ont été exploités et nous ne pouvons pas installer des barrages dans chaque vallée car ce que nous gagnerions en électricité, nous le perdrions en surfaces cultivables, une ressource qui n'a rien de renouvelable.

L'énergie hydraulique dans le monde

Les grands barrages
L'homme édifie des barrages depuis des siècles, mais les progrès de la technologie du béton et la conception de gigantesques engins de terrassement ont permis à l'homme, durant la seconde moitié du XX ème siècle, de concevoir des ouvrages d'une ampleur exceptionnelle et jamais égalée. Durant cette période, le nombre de grands barrages dans le monde est passé d'un peu plus de 5000 en 1950 à plus de 45000 aujourd'hui !
Les grands barrages endiguent aujourd'hui 60% des fleuves du monde.

       

Les petites centrales hydrauliques

Les petites centrales hydrauliques sont présentes partout dans le monde mais leur dénombrement s'avère difficile.
On estime que la capacité mondiale installée s'élève à 37 000 MW.

 

L'hydraulique en France

La force motrice de l’eau est utilisée depuis des siècles : les moulins à eau moulaient le grain, actionnaient les soufflets de forge…
Quant aux grands barrages hydrauliques, réalisés dans les années 50, ils sont venus contribuer à l’effort d’autonomie énergétique de la France, lui permettant d’afficher aujourd’hui près de 15 % de production d’électricité à partir des énergies renouvelables.

Cette énergie est également utilisée pour alimenter des sites isolés (une ou deux habitations, un atelier d’artisan, une grange…) ou produire de l’électricité, vendue à plus petite échelle.
On parle alors de petite centrale hydraulique (puissance allant de 5 MW à 10 MW), de micro-centrale ( de 100 kW à 5 MW), voire de pico-centrale (moins de 100 kW).
Ces petites centrales participent :
. à la production électrique nationale à hauteur de 1,5 %
. à la production d’origine hydraulique. à hauteur de 10 %

La région Midi-Pyrénées possède le plus grand nombre de centrales hydrauliques de petites puissances (près de 400 - 500 MW de puissance installée), grâce aux réservoirs d’eau que constituent la chaîne des Pyrénées et le Massif Central. La gestion de ces installations est assurée par des producteurs autonomes sous forme de concession ou d’autorisation.

L’énergie hydraulique est une des énergies renouvelables les plus difficiles à développer aujourd’hui en France.

Les contraintes en terme de protection des cours d’eau limitent les perspectives d’ouverture de nouveaux sites. De nombreux cours d’eau sont classés, excluant tout nouvel aménagement.
Pour s’affranchir de ces contraintes environnementales, certaines opérations récentes exploitent l’énergie de l’eau déjà canalisée : réseaux d’adduction ou d’irrigation (encore faut-il que le potentiel en terme de puissance soit là).
Il faut tenir compte également des droits de propriétés de l’eau et des berges.
A noter : un groupe de travail interministériel étudie la simplification de ces procédures.

Cependant, il reste aujourd’hui quelques potentialités.
Il faut principalement travailler à l’amélioration de la production des petites centrales existantes.

L'hydraulique en Europe

En Europe, le potentiel estimé, en prenant en compte les contraintes environnementales et économiques, correspond à une production électrique de 24 TWh (étude de ESHA – European Small Hydraulic Association).
La capacité installée est aujourd’hui d’environ 10 300 MW, dont 2 100 MW pour la France et 2 300 MW pour l’Italie, les deux premiers Pays en terme de puissance installée.

Le cas de la Norvège

La Norvège est le premier producteur européen d’énergie hydraulique et le sixième au rang mondial. La puissance hydroélectrique installée est de 27000 MW pour une production annuelle d’environ 110 TWh. A titre de comparaison la production d’électricité hydraulique en Suisse est inférieure à 40 TWh. Les Norvégiens, grands consommateurs d’énergie électrique, sont alimentés par une électricité d’origine hydraulique à plus de 98 %. Des champions du renouvelable ! La taille du pays, sa topographique et son réseau hydrologique permettent d’envisager un développement important de l’énergie hydraulique, contrairement à la Suisse qui arrive bientôt au bout de ses capacités. Ce potentiel de développement équivaut aujourd’hui à plus de 70 TWh de production annuelle ! Plus de la moitié de ce chiffre ne peut pas être exploité pour des raisons écologiques, moins d’une dizaine de TWh concerne l’amélioration des centrales existantes, reste environ 30 TWh qui pourraient être produit annuellement. En bref et en théorie, la Norvège a un potentiel de développement hydraulique énorme.

Or qu’est-il advenu ? Jusqu’en 1990 la puissance hydraulique n’a cessé de croître, suivant l’évolution de la demande d’énergie électrique. Depuis le début des années 90, la puissance installée n’a pratiquement pas augmenté. Normal, puisque la libéralisation a conduit les investisseurs à une très grande prudence : personne n’a osé mettre de l’argent dans la construction de barrages, constructions très intensive en capital initial et en frais financiers par la suite. La demande continuant à croître, la Norvège est donc passée d’un statut d’exportateur d’énergie électrique à celui d’importateur. Pour éviter une situation de pénurie, il fallait développer de nouveaux moyens de production.

Avec les capacités hydrauliques présentées ci-dessus et la fibre environnementale scandinave, on peut supposer que c’est la construction de barrages qui permettra de fournir de nouveaux kWh. Eh bien non ! Le Gouvernement norvégien a finalement décidé d’autoriser la construction des premières grandes centrales électriques alimentées au gaz : deux centrales de 400 MW seront construites dans l’ouest du pays. Cette décision a été rendue possible suite à l’assouplissement des exigences concernant les émissions de dioxyde de carbone (il existe une taxe sur le CO2). Pourquoi une telle décision ? Simplement parce qu’un marché libéralisé impose que la durée d’amortissement soit la plus brève possible. Sur ce point les centrales au gaz sont bien meilleures que les barrages… et pour donner le coup de pouce final à cette énergie non renouvelable, il suffit d’assouplir les exigences en matières de taxes environnementales… même dans un pays scandinave !

Comment fonctionne une centrale hydroélectrique ?

La quantité d’énergie hydraulique produite dépend de 2 facteurs : le débit de la rivière et la hauteur de chute.
Une faible masse d’eau tombant de haut produira donc la même quantité d’électricité que beaucoup d’eau dévalant un faible dénivelé.

Pour faire fonctionner une petite centrale, il faut disposer : d’une prise d’eau sur le lit de la rivière, d’un ouvrage d’amenée d’eau au site de production (la centrale), d’une turbine, d’un alternateur et d’un transformateur (pour le raccordement au réseau).

Les petites centrales ne stockent pas l’eau.
Elles fonctionnent « au fil de l’eau », la turbine étant positionnée dans le lit de la rivière ou en bas de la chute d’eau ; du coup, la production d’électricité varie avec le débit de la rivière.

Le barrage de l’eau (seuil naturel ou barrage artificiel) permet de créer un dénivelé dont la hauteur détermine en partie la puissance produite. L’amenée d’eau est souvent, en montagne, réalisée en conduite forcée du fait du dénivelé important, alors qu’en plaine un canal de dérivation suffit généralement.

L’eau fait tourner la turbine, entraînant un générateur de courant qui transforme l’énergie mécanique en énergie électrique.

Un aménagement qui respecte l’environnement aura :
. Un débit réservé maintenu pour préserver la salubrité et la sauvegarde de la vie aquatique ;
. Une passe à poissons pour faciliter la migration de ceux-ci ;
. Une passe à canoë si l’activité touristique le justifie ;
. Une filtration des déchets flottants ;
. Un bâtiment isolé phonétiquement (le fonctionnement de la turbine et de l’alternateur étant source de nuisances sonores) ;
. Une bonne intégration paysagère du bâtiment et des ouvrages.

En effet, une installation mal conçue et mal gérée peut perturber l’écosystème. Si la quantité d’eau prélevée est trop importante, la vie aquatique sera atteinte. En l’absence de passe à poissons, la migration des espèces sera arrêtée.

La qualité de l’intégration des ouvrages au site est aujourd’hui fondamentale.

 

Retour à la page d'introduction du site generationsfutures.net

Dernière mise à jour : 29 janvier 2006
Cliquez ici pour contacter l'auteur du site, Eric Souffleux.

Retour à la page précédente