La sagesse totalitaire et démocratique : essai sur un nouveau système de gouvernance pour sauver la planète.

        Les générations futures auraient-elles besoin d'un nouveau Führer de l'écologie ? d'un nouveau Napoléon du développement durable ? d'un nouveau Khmer vert ? d'un nouvel Ayatollah de l'écologie ? Si nous n'arrivons pas à convaincre, faudra-t-il contraindre par la force ? Assisterons-nous à des affrontements violents entre les écologistes et les conservateurs de notre mode de vie dispendieux ? Est-ce que les réformes radicales qui s'imposent pourront être adoptées dans la non-violence ? par la voie démocratique ? ou au contraire faudra-t-il un dictateur d'un nouveau type pour forcer les populations à limiter leurs émissions ? La Grande Révolution Écologique prendra-t-elle les habits d'une guerre civile ? d'une conflagration mondiale ? Faudra-t-il des camps de concentration pour les citoyens lobotomisés par la publicité qui refuseront leur nouveau mode de vie ? Faudra-t-il lâcher quelques bombes atomiques sales sur les zones d'extraction des combustibles fossiles, de manière à empêcher que des populations irresponsables brûlent ces énergies au mépris des autres peuples qui ont fait des efforts dans la sobriété pétrolière, gazière et charbonnière ? 

        Ces questions peuvent sembler bizarres, très pessimistes, pourtant je me les pose car je suis en train de perdre la foi en la capacité "démocratique" de notre civilisation pour nous sortir du piège qui se referme sur nous-mêmes. Notre problème de dépendance vis-à-vis du gaspillage des énergies fossiles (et dans une moindre mesure de l'énergie fissible) nous impose un changement radical de nos modes de vie. Il ne faut pas perdre de vue que l'effort de réduction doit être GLOBAL. Si 90% des pays du monde choisissaient de réduire leurs émissions, leurs efforts pourraient être anéantis par le comportement gaspilleur de la minorité restante. L'enjeu de l'avenir climatique n'est pas seulement de réduire les émissions, il est aussi d'empêcher les plus irresponsables (ou les moins raisonnables) d'entre nous de continuer d'émettre à outrance. Au niveau de la planète il faudrait constituer une force armée multinationale qui irait protéger les champs pétrolifères du Moyen Orient. Ces forces ne protégeraient pas le pétrole restant pour se l'accaparer mais pour empêcher que des peuples jouent encore plus aux apprentis sorciers avec le climat. Le problème devient encore plus complexe lorsqu'on s'attaque à l'extraction du charbon puisqu'il y en a un peu partout sur la planète. A quoi bon se priver dans nos pays développés, si ailleurs dans le monde d'autres pays veulent exploiter librement l'énergie que contient leur sous-sol ? Je sens qu'avec ce que j'écris, je suis dans le vrai, mais la tâche à accomplir semble encore plus insurmontable. Je ne me sens absolument pas l'âme d'un dictateur, même éclairé. La voie que j'ai choisi, c'est celle de l'espérance, de la foi dans mes semblables, de la conviction démocratique et pas de la contrainte totalitaire. Mon modèle pour cette lutte, c'est plutôt Gandhi, la non-violence, l'insoumission citoyenne et l'art de convaincre par la sagesse et par l'exemple. Bien sur, malgré ce que vous auriez pu penser en lisant le début de cette page, je n'ai aucune admiration pour Hitler, Napoléon, les Khmers rouges et les Ayatollahs des régimes islamiques. Pourtant je me prends à rêver d'un totalitarisme de la sagesse. Tocqueville n'avait-il pas déjà décrit en 1840 la myopie des démocraties ? La révolte est tellement grande en moi que j'imagine un tribunal du changement climatique, dans un état dominé par de sages dictateurs. Les pilotes de formules 1, les pilotes de ligne, les constructeurs de voitures pétroliques, les ingénieurs qui ont planché sur l'A380 et tous les moyens de transport du même niveau d'émission, les possesseurs de 4x4, les politiciens de tous bords qui ont permis le développement des autoroutes, de l'aviation, de l'agriculture intensive et des grandes surfaces, les médias télévisés, tous ces gens qui connaissaient le problème du changement climatique et avaient la capacité d'agir autrement mais qui n'ont écouté que leur ego et leurs désirs d'avoir plus que leurs voisins. Imaginer toutes ces personnes dans l'obligation de répondre de leurs actes comme des criminels me fait sourire. Quelle pourrait être les sanctions pour ces délinquants du climat ? L'obligation de replanter des forêts, abaisser encore davantage le plafond d'émission (100 kg équivalent carbone par an ?), entretenir à la main une portion de piste cyclable ou de voie ferrée pour éviter l'usage de machines ou de produits chimiques... J'arrête là le délire, mais je vous laisse imaginer la suite et peut être même que vous me ferez partager vos impressions.     

        Pour en revenir au fond du problème que je pose ici, notre système démocratique permettra-t-il la réduction des émissions de gaz à effet de serre au niveau global ? Le premier écueil que je vois est celui des médias qui ne jouent, à l'évidence, pas leur rôle dans la prise de conscience collective de la nécessité de placer la lutte contre les changements climatiques au-dessus de tous les autres problèmes. Je suis scandalisé que le football noircissent peut être dix fois plus de papier que la problématique énergético-climatique. Certains journalistes et quelques citoyens attendent des politiques des mesures concrètes, mais quel personnage politique prétendant aux manettes du pouvoir se risquerait à annoncer qu'il faudra multiplier progressivement la taxe sur les carburants par deux voire trois ? Personne dans la classe politique actuelle (à part moi, mais est-ce que je fais partie de la classe politique ? C'est une autre histoire...) ne s'amuserait à prononcer un tel discours, même si de toute évidence il est le seul qui peut présenter un caractère salutaire à notre époque. Même les Verts n'annoncent pas haut et fort qu'ils veulent augmenter "artificiellement" les prix du carburant. Ils ont même parfois un discours tout à fait contradictoire en disant d'un côté qu'il faut taxer les camions et de l'autre épargner les voitures. Et que dire de leur volonté affichée de remplacer une partie des centrales nucléaires par des centrales thermiques brûlant du gaz et du charbon !

        Imaginons deux candidats au coude à coude au second tour des élections présidentielles. L'un d'eux est un conservateur social ou libéral, l'autre est un candidat écologiste dont l'essentiel du programme est de sortir de notre dépendance pétrolière. Le conservateur est un vieux baroudeurs de la politique, son discours colle avec l'exercice de la démocratie telle qu'elle s'exerçait jusqu'alors. Cela pourrait être Nicolas Sarkozy, Laurent Fabius, François Hollande... L'écologiste, qui pourrait être un inconnu comme moi, ou quelqu'un de plus connu comme Nicolas Hulot ou Jean-Marc Jancovici, est un jeune résistant, très efficace dans ses discours. Il montre l'exemple, il passe son temps dans le train, sur son vélo et condamne devant les journalistes les avions et les grosses bagnoles. Il parle des vrais problèmes, il n'a pas la langue dans sa poche et il commence à séduire une population qui commence à prendre conscience du péril climatique et de tous les autres périls écologiques. Un tel candidat ne pourrait pas dépasser les 30% d'intention de vote aujourd'hui, il serait battu. Mais imaginons qu'en face, on ait quelqu'un que les gens n'apprécient plus dans une large majorité (60%) parce qu'il a montré son incapacité à gouverner dans un précédent mandat ou parce qu'il trimballe des dizaines de casseroles politico-judiciaires très relayées par l'environnement médiatique. Ce type de candidat pourrait être Jacques Chirac, Lionel Jospin ou Alain Juppé... Il est alors possible qu'un candidat écologiste passe. Le problème, c'est qu'à ce moment là tous les industriels du pays prendront peur, il y aura un mouvement de panique qui ne peut conduire un certain nombre de personnes incapables de s'adapter qu'au terrorisme. Le risque d'un assassinat politique n'est pas à exclure. C'est pourquoi je m'interroge encore une fois sur la capacité de nos démocraties à permettre l'émergence d'un mouvement politique non-violent nous permettant de faire face avec des mesures de fonds aux grands périls écologiques.

        Imaginons que notre candidat écologiste soit élu aux plus hautes fonctions de l'état. Admettons qu'il ait réussi à échapper aux nombreux attentats qui le visaient. Admettons qu'il ait tenu 5 ans les rênes du pouvoir. Imaginons alors que le démarrage de son programme ait été catastrophique. Devant gardé des contacts étroits avec ses pays voisins, le chef de l'état n'aura pas pu éviter un dumping fiscale du fait du libre échange international. L'économie du pays a plongé alors que les pays voisins continuaient à progresser, du moins pour un temps. Le chômage n'a jamais été aussi important car les gens ont refusé de revenir au travail de la terre dans la campagne. Les médias qu'on n'a pas muselé pour maintenir la liberté de la presse n'ont pas joué le jeu et au lieu de montrer la nécessité de ces mesures sages, ils ont insisté sur leur caractère liberticide. Le peuple est totalement mécontent de son sort même si une fraction non négligeable de la population perçoit la justesse des mesures prises. Aux élections suivantes, ce sera un nouveau chef de l'état conservateur qui sera remis au pouvoir. La majorité populaire ne se trompera pas deux fois et les prochaines élections ne seront pas gagnées pour tous les candidats écologistes.

        En démocratie, les peuples ont les gouvernements qu'ils méritent, et les peuples ne peuvent évoluer dans le sens de la sagesse que grâce à des médias bienveillants.

        Bilan, les démocraties globalisées réaliseront la Grande Révolution écologique ENSEMBLE ou ne la réaliseront pas. Aucun pays n'acceptera de payer avec son économie et avant les autres les conséquences d'une anticipation de la grande crise de l'énergie. Les démocraties attendront d'être au pied du mur pour réagir. Tout ceci m'amène à penser que la démocratie est contre nature. En effet, quel citoyen, quel électeur votera pour un candidat qui va limiter son espace de liberté ? La liberté de déplacement que procure la voiture semble aujourd'hui être un acquis sur lequel on ne peut pas revenir. Pourtant, pour de multiples raisons, il faudrait apprendre à se passer de sa voiture. Cela procurera forcément des contraintes (faire du vélo, prendre le train, s'adapter à un nouveau mode de vie...) et j'imagine mal qu'une majorité de nos concitoyens décide d'accepter ces contraintes volontairement. Dans le discours des syndicats et des hommes ou femmes politiques de tous bords, cette liberté du déplacement est même devenu un droit. On oublie de dire que le droit au transport et aussi les autres droits (logements, chauffage l'hiver, travail, éducation, santé...) ont en face des devoirs. Le plus impérieux de ces devoirs est celui de respecter l'harmonie de la nature car nous n'avons pas de planète de rechange. On ne devrait pas continuer à croire comme acquis un droit au déplacement avec aussi peu de respect des devoirs qui vont en face. Pourtant, les journalistes et nos élus ne parlent jamais des devoirs que nous avons envers la nature et les générations futures. Au cours de notre histoire récente, les totalitarismes ont été mis en échec par la volonté des peuples d'accéder à la démocratie. J'ai l'impression aujourd'hui que les démocraties vont être rejetées par l'environnement.

        Quel système de gouvernance pourrait allier la volonté des peuples de décider de leur avenir et la nécessité de cohabiter avec la nature durablement ? La voie collectiviste s'est écroulée car elle ne pouvait se maintenir qu'à travers une dictature, et la voie libérale est en train de s'écrouler pour des raisons environnementales parce que les peuples n'ont pas su se responsabiliser pour ne pas user d'une façon déraisonnable de leur liberté (devenue au fil des discours un droit) à exploiter les ressources naturelles. Quel système pourrait alors nous permettre de réconcilier l'humanité avec la biodiversité et les grands équilibres de la planète ?

        Ce système, appelons-le "sagesse citoyenne", ou aussi la "sagesse totalitaire et démocratique", ou encore la "démocratie éclairée par les sages". Gardons la démocratie du système libéral et ajoutons-y un contrôle autoritaire de sages qui auraient pour mission de s'assurer que les décisions des peuples n'iraient pas à l'encontre de la biodiversité et des grands équilibres planétaires. Dans ce système, les gens seraient libre de s'enrichir avec le fruit de leur travail, par contre ils leur seraient difficile d'acheter un mode de vie trop gaspilleur pour l'environnement. Ce système suppose que l'on taxe très lourdement les carburants, l'électricité d'origine fossile ou nucléaire, et que ces taxes bénéficient aux sources d'énergies renouvelables, aux transports doux et à des aides pour les populations en difficulté. Ce système doit organiser sur le long terme la décroissance de notre consommation de ressources. Ce système pourrait favoriser le travail des hommes car en taxant les ressources énergétiques, on pénalise l'emploi des machines. Dans ce nouveau système de gouvernance, la grosse question est de savoir qui sera choisi pour faire partie de ce fameux conseil des sages qui encadrera durablement la démocratie.

        A quoi ressemblerait la nouvelle constitution pour ce nouveau concept de gouvernance ? Il y aurait toujours un chef de l'état élu au suffrage universel. Il représenterait le pays à l'extérieur et nommerait un premier ministre, chef du gouvernement composé de plusieurs ministres. Nous resterions dans une démocratie parlementaire, à côté de l'exécutif, il y aurait le pouvoir législatif. Le parlement national comporterait une seule chambre d'une centaine d'élus. Ces parlementaires seraient élus au suffrage universel direct à la proportionnel. Le Sénat n'existerait plus. En réduisant ainsi la taille de l'état, on limitera ses dépenses de fonctionnement et on empêchera un carriérisme des hommes ou femmes politiques. Enfin, et ceci est totalement inédit, le parlement et le gouvernement devront travailler avec l'accord d'un conseil des sages. Ce conseil sera le gardien de la constitution qui pose en principe souverain l'objectif de réduire nos émissions de gaz à effet de serre et d'atteindre l'objectif de 500 kg d'équivalent carbone par habitant. Il faudra peut être abaisser ce niveau si la population mondiale s'accroît ou si nous ne décidons pas dès maintenant de réduire les émissions. Ce conseil des sages pourrait être constitué de 20 personnes, 4 désignés par le chef de l'état, 4 élus du parlement désignés par le parlement, 4 citoyens élus au suffrage universel direct (mais les candidats doivent répondre à des critères de moralité et d'exemplarité par rapport à la sobriété des émissions de gaz à effet de serre) et 8 désignés par le conseil des sages sortants (avec des candidats répondant aux critères précédents). Les membres du conseil des sages seraient renouvelés tous les dix ans. En cas de décès d'un des membres, le conseil des sages désignerait un candidat répondant aux fameux critères d'éligibilités. Le pouvoir du conseil des sages serait grand puisqu'il obligerait le gouvernement et le parlement à revoir sa copie dans le cas de la promulgation d'une loi qui entraverait l'effort du pays pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Il aurait aussi le contrôle des armées et des forces de police. Le conseil des sages aurait aussi la capacité d'interdire la candidature d'une personne au comportement très émetteur de gaz à effet de serre, pour l'élection présidentielle. Bref le conseil des sages serait une entité consciente du péril climatique et s'assurerait de la poursuite des efforts de réduction sur le long terme. Il est possible que l'on retrouve ce type de conseil des sages à tous les échelons de décisions. Il y aurait finalement une dualité permanente entre la volonté des élus et la sagesse de ces citoyens exceptionnels.

        Vous devez vous dire que ce que j'imagine est une atteinte aux libertés de notre démocratie. En fait, c'est en partie vrai, mais c'est une réponse au fait que la démocratie non consciente des périls climatiques est en soi une atteinte à la vie. Il faut qu'on est le courage de l'expliquer aux citoyens.

Eric Souffleux, nantais de 26 ans, démocrate et sage en même temps. 10 février 2004

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Dernière mise à jour : 11 juin 2006
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