Le prix du pétrole ne peut qu'exploser !
Un pétrole peu cher est essentiel
à notre économie. Pourtant, un baril de brut à plus de 200 dollars est
désormais possible, voire même
tout à fait inévitable ! Trois épées de Damoclès sont suspendues au-dessus
de notre avenir pétrolier et suggèrent cette sinistre hypothèse.
La première est relative au
changement climatique. Pour éviter une catastrophe planétaire dont nous sommes
aujourd'hui parfaitement incapables de prévoir l'ampleur, il faudra apprendre
à restreindre volontairement notre utilisation du pétrole. Cette restriction
ne sera effective que si le pétrole est fortement taxé. Limiter les
conséquences du réchauffement climatique revient donc à accepter un pétrole
très cher.
La seconde est que parallèlement à
la hausse constante du coût d'extraction pour des raisons techniques, nous ne
sommes pas loin d'atteindre le maximum de la production mondiale. A la mi-juin
2004, des oléoducs irakiens ont été sabotés et le prix du pétrole s'était
à nouveau envolé. Des spécialistes du courtage pétrolier ont alors expliqué
dans la presse que la capacité excédentaire du marché pétrolier mondial
était de 1.6 millions de barils par jour et que ces sabotages privaient le
marché de toute réserve de production de pétrole. 1.6 millions de barils,
cela représente grosso modo la consommation journalière de la France ! En
conséquence, nous ne pourrons pas répondre à l’augmentation massive
de la demande avec l’entrée de plus d’un tiers de l’humanité (Chine,
Inde et Brésil) sur le marché de la grande consommation. Le prix du pétrole
ne peut qu’exploser !
Le troisième problème à ne pas
négliger est l'incertitude géostratégique liée au terrorisme, avec l'Arabie
Saoudite en plein dans l'oeil du cyclone. Ce pays couve depuis quelques années
des foyers d'islamistes radicaux qui ne manqueront pas de renverser la monarchie
saoudienne, trop complaisante à l'égard des Américains et indifférente
vis-à-vis de la pauvreté d'une immense majorité de la jeunesse saoudienne. La
révolution islamiste saoudienne est probablement inévitable. Elle sera
accompagnée de tensions internationales exacerbées autour du brut et le prix
du baril ne peut que s'envoler !
Paradoxalement, cette hausse du prix
du pétrole, si elle est progressive, pourrait profiter à notre planète. Si
notre consommation de pétrole se réduit rapidement dans les dix ou quinze ans
qui viennent, on évitera les pires scénarios-catastrophes concernant le
changement climatique. Mais si cette chute de la consommation survient trop
brutalement, sans que l’on s’y soit préparé, les conséquences peuvent être
assez dramatiques d'un point de vue économique et humanitaire. Pour
l'expliquer, voici deux exemples :
Aujourd’hui beaucoup de gens, pour
des raisons économiques, ont fui loin des centres-villes alors qu'ils y
travaillent, avec tous les transports que cela suppose. Si nous sommes confrontés
à une explosion radicale du prix du baril – au-delà des 50 dollars de façon
durable –, que ferons-nous ? Il y a là un véritable problème
d’infrastructures ! Ce sont tous les espoirs de croissance qui se retrouvent
plombés...
Ensuite, notre agriculture et notre
pêche se sont rendus extrêmement dépendants des énergies fossiles. Le gaz
naturel permet la production des engrais azotés indispensables à notre
agriculture intensive. Le pétrole est utilisé par de nombreux moteurs très
gourmands que nous retrouvons sur les tracteurs, les bateaux de pêche et les
camions qui acheminent les différentes denrées alimentaires jusqu'aux
consommateurs. Une explosion du prix du baril conduirait inévitablement à une
explosion du prix des produits alimentaires. L'ensemble des secteurs du loisir
et la grande consommation pâtirait de cette situation.
Si nous n’accélérons pas le
passage à d’autres énergies, c'est parce qu’il n’existe aucune solution
de substitution massive au pétrole. Bien sûr nous avons tout intérêt à développer
les énergies peu émettrices de gaz à effet de serre à plus long terme
(solaire, nucléaire, biomasse, éolienne, géothermie) ainsi que les nouveaux
vecteurs énergétiques (hydrogène, air comprimé). Reste
qu’aujourd’hui, nous sommes un peu dans la nasse. Et pas seulement pour le pétrole
d’ailleurs, vu le nombre de matières premières dont les cours ont récemment
explosé, à cause de la très forte demande.
Un tel exposé de la situation
voudrait dire qu’il faut prendre des décisions le plus tôt possible. Or,
aujourd’hui, nous nous empressons... de n’en prendre aucune ! On est un peu
coincé par le fait que nos démocraties reposent sur la croissance. Pour un
gouvernement, les choses ne sont pas simples. D’un côté, l’objectif pour
2050 est de réduire par quatre nos émissions de gaz à effet de serre. De
l’autre, nous souhaitons faire repartir la consommation. La contradiction est
on ne peut plus claire.
En attendant, j'espère que ce
nouveau cri d'alarme sera entendu par le plus grand nombre. La planète attend
l'explosion du prix du pétrole, qu'elle soit volontaire ou non.
Éric Souffleux 21juillet 2004