Témoignages du mal être actuel des pêcheurs

        En France, ils sont 27000, des marins pêcheurs qui nous ramènent au gré des campagnes poissons et crustacés. Au cours du mois d'avril 2005, j'ai eu l'occasion de discuter avec un pêcheur dans un petit port de la région de St Brieuc. Cette page raconte l'échange que j'ai pu avoir avec ce pêcheur et témoigne du mal être d'une profession. D'autres témoignages suivront dès que l'occasion se représentera.

           Le pêcheur que j'ai rencontré était en train de remplir de fioul son petit bateau (photo ci-contre). J'ai donc engagé la conversation sur ma curiosité de savoir combien de litres de fioul il consommait, et pour ramener quelle quantité de poisson ? Sa réponse m'a sidérée. 

           Le bateau que vous voyez sur la photo ci-dessus appartient à ce pêcheur. Il s'agit d'un petit bateau destiné à la pêche côtière. Le réservoir a une capacité de 800 litres. Il consomme entre 100 et 150 litres de gazole par jour et en ce moment (printemps) il ramène 200 kg de seiches. Le rapport est donc 1 à 1.5 litre de gazole pour 2 kg de poissons. Cela fait beaucoup de fioul pour pas grand chose mais à la limite un tel rapport est en soi une performance.

          En effet, les plus gros bateaux qu'on voit ici alignés sur le ponton consomme environ 500 litres de fioul par jour et ramène entre 100 et 1000 kg de poissons selon le prix du poisson. L'essentiel est d'arrivé à gagner de l'argent. Le pêcheur m'explique que dans la conception des bateaux, il faut ramener 1 kg de poisson si on consomme 1 litre de gazole, en comptant le repas de l'équipage, le paiement du bateau, les salaires et les charges sociales et diverses. 

          Aujourd'hui, les gros chalutiers armés par des grandes enseignes de la grande distribution consomme environ 40000 litres de gazole par mois. Ils ramènent dans le même temps entre 20 et 40 tonnes de poissons. Les temps sont de plus en plus durs pour tout le monde, le poisson se fait rare et il faut aller le chercher de plus en plus loin. Les chalutiers qui ramassent tout sont largement responsable de l'épuisement des stocks. 


remplissage du réservoir de fioul

Dans l'esprit du pêcheur, chaque sortie est un pari. Pour chaque litre de fioul consommé, il faut ramener au moins un kilogramme de poisson. 

Un bilan énergétique catastrophique
       
Dans 100 g de poisson (une part standart) , il y a en moyenne 18 g de protéines et 12 g de lipides, ce qui fait un total de 180 kcal. Un litre de pétrole contient l'équivalent de 9000 kcal.
        La conception des bateaux étant de ramener 1 kg de poisson pour chaque litre de gazole consommé, le rapport énergétique est donc qu'il faut brûler 900 kcal pour ramener dans son assiette 180 kcal, soit un rapport de 5 consommées pour 1 récupérée. C'est dramatique de laisser un tel système de gaspillage perduré. 

Pêché en Atlantique Nord Est : une  nouvelle appellation pour tromper le consommateur. 
            Comme on le voit sur cette photo d'un étalage prise à Nantes en mai 2005, les poissons sont étiquetés "pêché en Atlantique Nord Est". Cette appellation à la fois vague et rassurante est obligatoire et les fraudes veillent à son respect. Curieusement il est même interdit d'ajouter sur l'étiquetage la provenance exacte du poisson. Sur la photo, il s'agit de Merluchon provenant de La Turballe. Pour le savoir il faut poser la question au vendeur mais celui-ci n'a pas le droit de le mentionner. 

        Cette appellation irrite notre pêcheur car il s'agit d'une appellation vague que l'on met sur tous les poissons pêchés dans une large zone qui va de la Pologne à l'Espagne en passant par l'Écosse et la France. Avant, ce pêcheur disait qu'il avait pêché son poisson en Manche ouest. C'était plus précis et donc plus clair pour le consommateur. Avec cette nouvelle appellation, le poisson pêché par les français n'arrive pas à concurrencer le poisson écossais ou polonais du fait de charges sociales importantes. Cela devrait être au consommateur de contester une telle appellation, mais visiblement cette appellation les rassure davantage, probablement parce que les gens pensent qu'un poisson pêché dans l'océan, donc sous-entendu loin des activités humaines et de la pollution, est plus sain qu'un poisson pêché en Manche près des côtes. Consommateur, révoltons-nous ! (Cela vous rappelle pas un certain Jean-Pierre Coffe ?)

Le prix du poisson dégringole, pas celui du pétrole !
        Le prix du pétrole est aujourd'hui dans tous les esprits. Pour être bien, il faudrait un gazole à 0.30 euro le litre. A 0.47 euro comme il l'est aujourd'hui, c'est le salaire des matelots qui trinque. Il y a 20 ans, un matelot gagnait l'équivalent de 1500 euros par mois (10000 francs). Aujourd'hui ils sont rendus à 1100 euros (environ 7000 francs). Si cela continue, les pêcheurs disparaîtront. 

La pêche aujourd'hui, c'est la chacun pour soi.
        Il y a 20 ans, les pêcheurs travaillaient quatre jours par semaine. Ils se retrouvaient le soir, faisaient la fête et partaient au travail dans la joie. Aujourd'hui, c'est différent, les pêcheurs travaillent 7 jours sur 7. Quand j'ai rencontré ce pêcheur, c'était un dimanche, il travaillait. La solidarité entre les pêcheurs n'existent plus. Ils n'ont affaire qu'avec la coopérative qui au lieu de les défendre les monte les uns contre les autres. L'écoeurement est grand quand ces pêcheurs constatent qu'il y a un facteur 10 entre le prix de la criée et le prix de vente au consommateur. C'est l'incompréhension et le résignation qui dominent.

Et pourquoi ne reviendrait-on pas à une pêche plus ancestrale, avec la propulsion à voile, la pêche au casier et à la ligne ?
       
J'ai posé cette question qui me brûlait car pour moi il est évident que c'est la solution. La réponse du pêcheur est claire, tant que le travail sera aussi taxé, il sera très difficile de revenir à ce type de pratique. Et de toutes façons, il faudra bien qu'on trouve une solution pour nos bateaux dépendants du gazole, les gens sont fainéants, ils ne reviendront pas à des pratiques qui les obligeront comme maintenant à pêcher pratiquement 7 jours sur 7. Il faut des aides du gouvernement pour faire baisser le gazole. Et l'effet de serre ? Je n'ai pas posé la question car nous sommes dans d'autres logiques.

Voilà pour ce premier témoignage de cette pêche qui va mal. Dès que j'en aurai l'occasion je renouvellerai le dialogue avec les chasseurs cueilleurs des mers.

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Dernière mise à jour : 6 février 2006
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