Les réserves d'énergies fossiles
Le pétrole
Depuis plusieurs mois déjà, l'ASPO (Association for the study of peak oil) tire la sonnette d'alarme : nous allons bientôt manquer de pétrole ! Or, les membres de cette association ne sont pas, à priori, de pittoresques farfelus : Colin Campbell a travaillé chez Texaco, Kenneth Deffeyes chez Shell, Jean Lahérrère chez Total. Mattew Simmons conseille même Georges W. Bush en matière énergétique. Ce qui n'empêche pas leurs détracteurs de les dépeindre comme un "club de retraités", plus vraiment très au fait des progrès techniques intervenus dans l'extraction pétrolière. Qu'en est-il au juste de l'état de nos réserves pétrolières ?
Pour évaluer la quantité de pétrole que nous pourrions encore extraire, il faut prendre en compte deux notions : la notion de réserve et la notion de ressource. Les réserves sont des réservoirs que nous avons découverts, c’est à dire pour lesquelles au moins un puits a prouvé le gisement. Nous savons que les réserves existent, la question pour elles sera de savoir quelle quantité de pétrole on pourra en extraire. On distingue les réserves prouvées, probables et possibles. Les ressources sont par contre incertaines. Nous n'avons pas encore découvert les gisements mais nous pensons que nous pourrions les découvrir et les exploiter dans un contexte où le prix du brut serait élevé. Il faut alors distinguer les ressources conventionnelles des ressources non-conventionnelles.
Les réserves prouvées
Les réserves prouvées sont ce que l’on trouve dans la plupart des banques de données (style BP), les
publications et articles.
A l’origine, cette notion a été suscitée par la SEC (le gendarme de la
bourse américaine) pour protéger les petits actionnaires des déclarations
trop optimistes des Compagnies Américaines Indépendantes (les Indies, par
opposition aux Majors).
Ce sont des réserves plus comptables que naturalistes : ce sont des PI90,
c’est à dire que la probabilité de faire mieux est 90%, et moins 10%.
L’ingénieur qui les calcule suit un certain nombre de règles prudentielles
édictées par la profession, mais qui sont vraiment très conservatrices d’un
point de vue technique géologique, géophysique et réservoir.
Ce sont ces réserves prouvées qui sont estimées aujourd’hui à 1000
milliards de barils (Gb).
Les réserves probables
Lorsque les pétroliers préparent une campagne d’exploration, ou un développement
de gisements, ils se servent des réserves probables. Ce sont des PI50, 50% de
probabilité de faire mieux, 50% de faire moins. Les références historiques
montrent d’ailleurs que statistiquement, ce sont ces réserves probables que
les pétroliers finissent par produire. Elles ont un sens plus technico-économique
que les prouvées dans leur mode d’évaluation. Peu de calculs à l’échelon
mondial sont publiés (dictature de la SEC et des marchés financiers), mais
chaque Compagnie, chaque Etat connaît ses réserves probables. Elles peuvent être
estimées à environ 30% de plus que les réserves prouvées. Soit des réserves
prouvées + probables de l’ordre de 1300 Gb. C’est sur cette marge de 300 Gb que s’amusent parfois certains états en faisant passer en peu de temps
du probable en prouvé (alors qu’il faut théoriquement un programme d’appréciation
de la réserve dûment contrôlé, ou contrôlable).
Les réserves possibles
Il s'agit des PI10, la probabilité de faire mieux est de 10%, et moins 90%. Elles présentent peu
d’intérêt a mon avis, et tiennent plus du fantasme de géologue que de la réalité
de la nature. Utiliser P10 rendrait les
estimations trop optimistes, amenant de la confusion dans les tendances futures.
Les ressources conventionnelles
Nous ne venons de parler que
de réserves découvertes. Or l’exploration pétrolière et gazière continue, et découvre
dans le monde de nouveaux gisements, et même parfois de nouvelles provinces pétrolières.
Je citerai l’offshore profond qui, complètement négligé dans les années
1990 (pour des problèmes de technologie, mais aussi de concept de dépôts) est
aujourd’hui un des thèmes les plus porteurs de la profession pour les 20 années
qui viennent. Les ressources sont donc des réserves que la profession pétrolière
pense pouvoir raisonnablement découvrir, dans un certain contexte de prix, et
avec des extrapolations de progrès technologiques raisonnables. Avec un baril
de pétrole brut se négociant à 20 - 25 $/b nos ressources sont estimées à
700 Gb.
Les ressources non conventionnelles
Les ressources non conventionnelle proviennent des schistes bitumineux, des
sables asphaltiques (mélange sable + pétrole) et des huiles lourdes. Ces
gisements d'hydrocarbures pointent de plus
en plus leur nez, à tel point que le qualificatif de ressource n'est pas
vraiment adapté. Dans certaines régions du monde l'extraction du brut non
conventionnel est compatible avec des prix de 20 $/b (sables du Canada, huiles lourdes du Venezuela), et grâce à des progrès
technologiques constants (les ingénieurs ne s’arrêtent jamais d’inventer
!), on voit que la limite physique est bien plus loin que ce qu’on dit.
En outre, dans un scénario de plus grande rareté, les prix augmenteront et les
ingénieurs (toujours eux) pourront alors mettre en oeuvre des techniques de récupération
assistée, dites tertiaires, déjà bien maîtrisées mais non rentables aux
prix actuels, et qui seront en mesure d’extraire de gisements déjà découverts
plusieurs dizaines de % supplémentaires (on laisse actuellement 75% du pétrole
en place, et on sait que techniquement, en y mettant le prix, on doit pouvoir
n’en laisser que 50%). Tout ceci doit pouvoir, avec un brut à 50$/b, rajouter encore 1000
Gb.
Revers de la médaille, l'exploitation de ces ressources nécessite de consommer
de l'énergie pour le raffinage, le forage et toutes les étapes de
transformation du produit. Cette consommation accrue d'énergie se traduit par
des émissions de gaz à effet de serre considérables (Pour obtenir 300 kg
d'équivalent pétrole, on rejette une tonne de gaz carbonique dans
l'atmosphère ! ). On pourrait en plus dépenser encore de l'énergie pour séquestrer
ces gaz. Il arrivera donc un moment où le coût du brut non conventionnel sera
prohibitif pour le consacrer simplement à un usage combustible. Pour moi, les
ressources non conventionnelles sont plus une réserve de matières plastiques
qu'une réserve de combustible.
Conclusion
Après avoir consommé 900 Gb de brut, nous aurions encore 1000 Gb de
réserves prouvées de pétrole, auxquelles nous pourrions ajouter 300 Gb de
réserves probables et 700 Gb de ressources conventionnelles. Je choisis
d'ignorer les ressources non conventionnelles car leur extraction en tant que
combustible me semble difficilement imaginable dans un contexte final de rareté
extrême et de péril climatique. Notre consommation annuelle est approximativement de 27 Gb (75
millions de barils par jour). Nous épuiserions donc tout le combustible
pétrole dont nous disposerions raisonnablement en seulement 74 ans.
Prenez conscience que si nous allons jusque là, les périls climatiques
risquent de prendre une ampleur que personne n'est aujourd'hui capable de
prévoir. Il serait plus prudent d'ignorer l'existence des ressources et de se
dire que nous avons effectivement une quarantaine d'année de pétrole devant
nous. 40 ans, c'est juste assez de temps pour construire une civilisation
dépendante uniquement des énergies renouvelables et dans une moindre mesure de
l'énergie nucléaire. Nous arriverons alors peut être à nous passer du
nucléaire dans une petite centaine d'années.
Répartition géographique des gisements de pétrole
"Un prêt accordé par Allah à un taux de complaisance." Dans le
monde entier, c'est ainsi que de nombreux musulmans considèrent les vastes
richesses pétrolières qui gisent sous leurs pieds. Sur la répartition géographique des réserves de pétrole, on peut
raisonnablement penser que le ratio des prouvées (70% dans un rayon de 1500 km
autour de Ryad) se retrouve plus ou moins homothétiquement dans les probables,
les ressources, la récupération tertiaire, voire les non conventionnelles.
L’Occident dépendra donc tôt ou tard du bon vouloir des bédouins. Je n'aimerai pas être à leur place, dans un contexte de crise, ils ne sont pas à l'abri d'un conflit nucléaire local.
Le Gaz
La problématique pour le gaz est la même : les définitions de réserves prouvées,
probables, possibles et ressources sont identiques. Les publications ne
concernent que les réserves prouvées, auxquelles le prospectiviste se doit de
rajouter les probables, les ressources, et les potentialités de non
conventionnelles (gaz d’hydrates en quantité considérables, posant de gros
problèmes d’exploitation, mais déjà sujets de recherches importantes des
Japonais).
Pour le gaz, la part du Moyen-Orient est notablement sous-estimée : en effet,
calculée sur les réserves prouvées (donc découvertes), cette part favorise
l’ex URSS, largement explorée, au détriment du Moyen-Orient que le gaz intéressait
peu et qui donc ne l’explorait pas. L’exemple le plus parlant est l’Arabie
Saoudite : en général, le gaz se trouve dans des couches plus profondes que le
pétrole (donc plus coûteuses à atteindre). Les puits s’arrêtent la plupart
du temps dans les couches à pétrole. Or, les rares qui sont allés plus
profond, dans le Khuff, ont quasiment tous trouvé du gaz. Le jour où le
Moyen-Orient fera vraiment de l’exploration gazière, je pense que le ratio tendra
vers celui du pétrole (70% dans notre fameux rayon de 1500 km qui inclut, outre
la péninsule arabique, l’Irak et l’Iran).
En 2002 les réserves prouvées de gaz naturel, qui assurent près de 65 ans de consommation au rythme actuel, consacrent la prépondérance de l'ex-URSS (36% du total en 2002) et du Moyen-Orient (36%, dont près de la moitié en Iran), suivis par l'Afrique (7%), l'Amérique du Nord (5%), l'Amérique latine (5%) et l'Europe de l'Ouest (3%).
Le charbon
En raison de la continuité latérale des veines de charbon, qui forment
souvent des couches s'étendant sur des centaines de kilomètres carrés,
l'évaluation des réserves est beaucoup plus facile que pour beaucoup d'autres
ressources naturelles.
Les réserves prouvées de charbon (houille et lignite) qui sont relativement
bien réparties dans le monde, atteindraient plus de 984 milliards de tonnes,
soit plus de deux siècles de consommation au rythme actuel. Les USA
représentent 25% de ces réserves devant la Russie (23%), suivis de la Chine
(12%), de l'Inde (9%) et de l'Australie avec 8%.
Aujourd'hui l'Australie est le principal pays exportateur de charbon avec 170 Mt en 1999, loin devant l'Afrique du Sud (66Mt), l'Indonésie (55Mt) et les USA (53Mt).
Conclusion
A la lumière de toutes ces informations, nous pouvons considérer qu'il
nous reste 40 ans de pétrole, guère plus de gaz naturel et plus de deux
siècles de charbon. Les délais sont donc très courts pour s'adapter à ce
nouveau défi : vivre sans énergies fossiles.
En matière de politique de substitution, souhaitons que l’Europe
donne l’exemple, car je pense que les Américains seront durablement
culturellement incapables d’une telle démarche.
Dernière mise à jour : 6 février 2006 |