La théorie d'Olduvai : le glissement vers un âge de pierre post industriel.
"En effet, l'aptitude à contrôler l'énergie, que ce soit brûler du bois ou construire des centrales électriques, est une condition préalable à la civilisation." Isaac Asimov, 1991
La Théorie d'Olduvai est une hypothèse présentée pour la première fois par Richard Duncan en juin 1996. Elle se nomme Olduvai car c'est dans les gorges d'Olduvai en Tanzanie qu'ont été découverts les plus anciens fossiles d'australopithèques et des premiers hommes. Des traces de pas vieilles de 3.5 millions d'années ont été retrouvées fossilisées dans ces gorges africaines. Cette théorie eschatologique s'articule autour de l'importance de l'énergie pour la civilisation. |
Duncan avait lu dans sa jeunesse les écrits d'un cosmologiste Sir Fred Hoyle. Il disait que les hommes reviendraient à l'âge de pierre, une époque très pauvre matériellement et culturellement. Duncan a poursuivit sa vie normalement, tout en étant hanté par l'hypothèse de Hoyle. En 1975, inspiré par Hoyle, Duncan comprit que la civilisation industrielle serait éphémère. Après une croissance exponentielle, il ne pouvait suivre qu'un déclin exponentiel. De 1985 à 1992, Duncan voyagea beaucoup en tant qu'employé d'une compagnie pétrolière saoudienne. Au cours de ces voyages qui le conduisirent un peu partout sur la planète, il chercha à vérifier si Fred Hoyle avait raison. Il chercha à connaître qu'elle était l'espérance de vie de la civilisation industrielle dans sa globalité.
Cette théorie propose de mesurer la Civilisation Industrielle avec un seul indicateur : le rapport entre la consommation mondiale d'énergie et la population. L'idée principale est que, contrairement aux autres civilisations qui sont apparues et se sont effondrées pour être remplacées par de nouvelles, la Civilisation Industrielle sera la dernière parce qu'elle aura épuisé toutes les ressources (pétrole, charbon, minéraux) qui sont vitales au développement d'une nouvelle civilisation.
Outre son unique indicateur (la production mondiale d'énergie en équivalent pétrole par habitant), la théorie est simple. Elle stipule que la durée de vie de la Civilisation Industrielle est plus ou moins égale à 100 ans : 1930-2030.
En 2000, Richard Duncan a résumé ses conclusions et les a présentées à l'occasion de son intervention d'ouverture à la réunion annuelle de la Société géologique américaine.
Entre 1920 et 1945, la production d'énergie par habitant a augmenté à un rythme modéré de l'ordre de 0.79% par an. La production mondiale d'énergie a crû entre 1945 et 1973 à une vitesse folle de 3,45% par an. Ensuite, depuis 1973 jusqu'au pic absolu de 1979, elle s'est ralentie à un modeste 0,64% par an. Alors soudainement - pour la première fois dans l'Histoire – la production d'énergie par tête entama un déclin à long terme, de 0,33% entre 1979 et 1999. Si la production d'énergie au cours de cette période a augmenté à un rythme annuel moyen de 1.34%, la population mondiale a en effet connu une croissance plus rapide encore. Le sommet de la courbe représentant la production mondiale d'énergie par habitant élaborée par BP Amoco se situe aussi en 1979, et chaque année suivante confirme le mouvement de déclin.
Selon les calculs effectués par Duncan, la production mondiale d'énergie par habitant devrait décroître à un rythme annuel d'environ 0.70% entre 2000 et 2011. Vers 2012, explique-t-il, des pannes d'électricité d'abord récurrentes puis permanentes se produiront un peu partout Dans le monde. La Production d'énergie continuera à décliner à un rythme de 5.44% par an entre 2012 et 2030. Autour de cette date, elle sera retombée à 3.32 barils d'équivalent pétrole par an, soit son niveau de 1930.
La théorie d'Olduvai explique le pic de 1979 et le déclin qui s'en suit. Elle explique d'autre part que la production d'énergie par tête retombera à sa valeur de 1930 en l'an 2030, donnant ainsi une durée de l'ère du pétrole et de la Civilisation Industrielle qui en dépend plus ou moins égale à 100ans.
Le graphique ci-dessous montre la consommation d'énergie par tête sous forme de courbe avec plusieurs points-clés définis. Ceux-ci sont: | Note 1: (1930) le début de
la Civilisation Industrielle
Note 2: (1979) pic absolu de tous les temps de la production d'énergie par tête Note 3: (1999) la fin du pétrole bon marché Note 4: (2000) éruptions de violences au Moyen-Orient Note 5: (2006) pic absolu de la production de pétrole Note 6: (2008) « basculement OPEP » : plus de 50% du pétrole provient de pays membres de l'OPEP Note 7: (2012) Des pannes électriques se produisent partout dans le monde Note 8: (2030) la production mondiale d'énergie chute au niveau de 1930 |
Des cavernes, à la Lune... de la Lune aux cavernes, telle est la théorie Olduvai développée par Richard Duncan.
Ce graphique qualitatif montre la théorie Olduvai, on distingue plusieurs phases :
Une phase pré industrielle avec plusieurs étapes : la maîtrise de l'outil (repère A), la maîtrise du feu (repère B), le développement de l'agriculture au néolithique (repère C) et la construction par Watt de la première machine à vapeur (repère D).
Une phase industrielle qui s'étend grosso modo de 1930 à 2025. Les bornes de cette phase sont représentées par les repères E et H qui désigne une consommation énergétique valant 37% de la valeur du pic (repère F). Nous serions actuellement au niveau du repère G.
Une phase post industrielle caractérisée par un retour à l'âge des cavernes entrecoupée de tentative pour remettre sur pied une civilisation (les repères J et K).
Autres données qui permettent d'approcher une vérification simple de la théorie d'Olduvai :
La consommation mondiale d'énergie
Consommation mondiale d'énergie primaire (comprenant
toutes les énergies fossiles, les énergies fissibles, les énergies
renouvelables et les déchets) (source : AIE/OCDE) : |
En 1999, voici comment était structurée la
consommation mondiale d'énergie primaire en 1999 s'élevant à
environ |
Consommation mondiale d'énergie par source en million de tonnes équivalent
pétrole de 1860 à nos jours
(hors bois, estimé à 10 à 15% en plus). (Sources : Schilling et al., IEA,
Observatoire de l'énergie)
Pour la consommation d'énergie, je pense qu'il faut ne tenir compte que des énergies fossiles et fissibles. Comme la part des énergies renouvelables est d'environ 10%, je vais la soustraire pour approcher le plus possible des chiffres avancés par Richard Duncan.
L'évolution de la démographie :
Année | Monde | Afrique | Amérique N. | Amérique Lat. | Asie | Europe | Océanie |
1950 | 2 523 879 | 223 974 | 171 617 | 166 337 | 1 402 021 | 547 318 | 12 612 |
1955 | 3 758 905 | 250 372 | 186 884 | 189 890 | 1 542 270 | 575 404 | 14 085 |
1960 | 3 026 091 | 282 138 | 204 150 | 217 258 | 1 702 320 | 604 947 | 15 278 |
1965 | 3 342 616 | 320 389 | 219 569 | 249 241 | 1 900 837 | 635 066 | 17 514 |
1970 | 3 701 908 | 364 081 | 231 540 | 283 530 | 2 147 007 | 656 441 | 19 309 |
1975 | 4 081 092 | 413 883 | 243 483 | 320 288 | 2 405 612 | 676 390 | 21 436 |
1980 | 4 147 374 | 475 711 | 255 109 | 359 302 | 2 641 310 | 393 260 | 22 682 |
1985 | 4 847 326 | 547 737 | 267 911 | 398 300 | 2 902 251 | 706 675 | 24 452 |
1990 | 5 282 306 | 629 385 | 282 020 | 437 820 | 3 184 342 | 722 314 | 26 425 |
1999 | 5 687 113 | 719 495 | 296 645 | 476 637 | 3 437 787 | 728 244 | 28 305 |
2000 | 6 062 390 | 815 090 | 306 918 | 511 893 | 3 670 932 | 727 435 | 30 122 |
Sources des chiffres du tableau : Wold Population Prospects
Les dates importante de la démographie mondiale : |
Rapport consommation d'énergie et démographie :
Coefficient de conversion utile : 1 tonne de pétrole brut =
7.33 baril de pétrole brut
Année | Consommation d'énergie totale (en Million de Tep) tirée du graphique précédent. |
Consommation d'énergie hors énergie
renouvelable (-10%) (en Million de Tep) |
Démographie (en million d'habitants) |
Rapport Consommation / démographie en tonne équivalent pétrole par tête et par an | Rapport Consommation / démographie en baril équivalent pétrole par tête et par an | Rapport Consommation / démographie en bep/tête/an donné par la théorie d'Olduvai |
1930 | 1100 | 990 | 2 000 | 0.495 | 3.628 | 3.32 |
1960 | 3000 | 2700 | 3 000 | 0.9 | 6.597 | 6 |
1974 | 6200 | 5580 | 4 000 | 1.395 | 10.22 | 10.5 |
1979 | 6700 | 6030 | 4 100 | 1.47 | 10.78 | 11.15 |
1987 | 7400 | 6660 | 5 000 | 1.332 | 9.76 | 10.6 |
1999 | 9400 | 8460 | 6 000 | 1.41 | 10.33 | 11 |
Même si les
chiffres que j'obtiens avec mes sources ne sont pas exactement les mêmes
que ceux de Richard Duncan, les similitudes sont très proches et je
vérifie moi aussi que le pic de la consommation mondiale d'énergie par
habitant a bien eu lieu en 1979. Depuis cette date le résultat de ce
rapport diminue et il indique bien une tendance large que nous sommes sur la
phase descendante de la courbe d'Olduvai.
Conclusion
La théorie Olduvai développée par Duncan depuis 1989 s'appuie sur deux
postulats : le développement de la civilisation industrielle peut être
caractérisé par un seul indicateur : la production mondiale d'énergie par
habitant; et la période industrielle ne durera qu'une
centaine d'années.
Ce n'est qu'en 1996 que Duncan a pu disposer de suffisamment de données pour
vérifier sa théorie. Quatre faits émergent :
La civilisation industrielle et tertiaire est donc sur le déclin. La situation suggère réellement l'urgence et nous sommes si peu à nous manifester pour changer les choses. Cette vision eschatologique d'un retour de l'humanité à l'âge de pierre est-elle une fatalité ?
Un peu de philosophie pour terminer : Quelles sont les conséquences de la théorie Olduvai appliquée à l'univers ?
En prenant davantage de recul, la théorie Olduvai pourrait se résumer à ceci : Lorsqu'elle apparaît en tout point de l'univers, toute espèce intelligente épuise sa planète, fait écologiquement faillite, s'effondre et ne se redresse jamais. La théorie Olduvai dit finalement que la croissance infinie d'une civilisation intelligente est impossible. Et même en supposant que cette civilisation déchue se reconstitue après des milliers d'années, c'est pour recommencer les mêmes bêtises, sans prendre en considération les erreurs du passé connues par les travaux des archéologues. L'histoire de l'Empire Romain devrait nous en apprendre long sur l'avenir de notre civilisation et pourtant, nous faisons comme si l'homme n'avait pas eu d'histoire.
On peut prouver l'effondrement de toute civilisation intelligente par l'absence d'extraterrestres. C'est une des thèses explorées pour expliquer le paradoxe de Fermi. Ce paradoxe d'Enrico Fermi s'intéresse à la question de savoir pourquoi nous ne sommes pas déjà en contact avec des extraterrestres, vue la relative jeunesse de notre étoile, le Soleil, par rapport à toutes celles existant dans l'univers. En croissant même lentement, une civilisation conquiert l'univers entier en très peu de temps à l'échelle de l'univers. La voie lactée fait "seulement" 100 000 années lumière de diamètre. Il n'y a pas de problème de distance, la faible vitesse de déplacement (inférieure à la vitesse de la lumière quand même) est largement compensée par la croissance exponentielle de cette civilisation qui ferait des sauts de puces entre les planètes habitables de l'univers. Les extraterrestres devraient déjà être là, s'il existait un moyen de perpétuer la croissance. La théorie Olduvai expliquerait donc que dans l'Univers qui nous entoure, à des milliers d'années lumière de chez nous, des civilisations intelligentes auraient pu voir le jour ponctuellemen,t mais qu'elles se seraient effondrées rapidement, rendant ainsi impossible la rencontre entre deux civilisations intelligentes interstellaires. Dans l'univers vaste et froid apparaissent très ponctuellement de rares civilisations qui ne sont toutes que des feux de paille, et cela pourrait bientôt être la fin pour la nôtre. Dans l'univers, la vie intelligente peut apparaître mais du fait que l'intelligence est liée à l'agressivité en rendant les effets de plus en plus graves, elle peut aussi disparaître avant de se diffuser ou de laisser des traces visibles. Telles sont les conclusions que l'on pourrait tirer de la théorie Olduvai appliquée à l'Univers.
Le paradoxe de Fermi : Si la vie a émergé, une des
civilisations aurait dû nous atteindre.
A la naissance du soleil, la vie avait eu largement le temps d'éclore ailleurs et d'arriver jusqu'à nous. S'il y avait des civilisations extraterrestres, leurs représentants devraient déjà être chez nous. La durée d'évolution de l'espace et le développement de la colonisation de l'espace (quelques centaines de millions d'années) est très courte au regard de l'âge du Soleil. |
Cette théorie devrait faire réfléchir chacun d'entre nous. Elle donne le vertige. Sommes nous sur Terre pour simplement piller les trésors accumulés par la vie sur notre belle planète ? Le suicide collectif est-il notre seul destin ? Sommes nous autre chose ?
La théorie Olduvai n'est pour moi qu'une théorie. Je suis convaincu qu'il ne tient qu'à nous qu'elle ne soit pas une fatalité. Notre destin peut être autre chose qu'un retour au moyen âge ou une faillite environnementale. L'intelligence doit être autre chose qu'une maladie planétaire menant à l'autodestruction. Il faut pour cela que l'homme passe au stade supérieur, il faut qu'il devienne sage, qu'il prenne conscience de sa responsabilité. En choisissant de réparer les dégâts déjà infligés à la planète, l'homme du XXIème siècle se donnerait ainsi une chance d'être la première forme d'intelligence capable d'échapper à l'autodestruction. A terme, dans quelques milliers d'années, sur une planète Terre rayonnante de vie et de biodiversité, nos enfants n'auront-ils pas envie de chercher d'autres formes de vie intelligente pour leur transmettre ce message : "Prenez soin de votre planète et prenez conscience que la croissance infinie mène à l'autodestruction !" |
Si de telles civilisations "sages" existaient quelque part dans l'univers, elles devraient déjà être parmi nous pour nous convaincre d'agir autrement. Visiblement, elles n'existent pas. Elles sont peut être en route mais il semble qu'elles pourraient manquer le rendez-vous au moment où nous en aurions bien besoin. L'homme ne doit donc compter que sur lui-même pour se sortir du piège qu'il s'est créé.
Il ne faut pas oublier que l'expansion infinie n'est pas une fatalité pour les civilisations intelligentes. Par exemple, la Chine entre le XVe et le XVIIe siècle était figée dans une parfaite stabilité d'institutions. En effet, après les campagnes maritimes de l'amiral eunuque Zheng He qui ont exploré l'Océan indien, certains prétendent qu'il aurait reconnu la côte occidentale de l'Amérique du Nord, avec des navires beaucoup plus grands que les caravelles qui allaient se répandre peu après lui de part le monde. La Chine se referme alors, persuadée que le monde périphérique n'a rien à lui apporter.
Ci-dessus : une plaque gravée sur la sonde spatiale Pioneer envoyée vers Jupiter et dont le message est destiné à des civilisations intelligentes à travers l'espace. |
Une dernière idée me semble intéressante à développer : L'évolution de la vie aboutirait forcément à l'intelligence en tout point de l'univers où la vie est physiquement possible. L'intelligence mènerait toujours à l'autodestruction (théorie Olduvai) mais à chaque fois, au sommet de leur expansion, ces civilisations enverraient des sondes dans l'espace, des sondes racontant l'histoire tragique de leur civilisation. Nous serions peut être des millions de civilisations intelligentes à faire cela dans l'univers. Des millions de sondes "voyager" se baladeraient ainsi dans l'espace et il y aurait une petite chance pour que des civilisations en expansion tombent sur une de ces sondes et en tirent les conclusions : "L'intelligence n'est rien sans la conscience de notre responsabilité vis à vis des autres formes de vie." Il est possible que ces messages soient très mal interprétés, qu'ils soient captés par des sectes et donc pervertis, mais il est possible que dans un ultime sursaut, une civilisation choisisse de passer au stade de la sagesse. |
Ainsi la vie se donnerait une chance de survivre dans cet univers à priori inhospitalier. La vie résisterait à ce passage difficile de l'évolution qu'est le stade de la civilisation intelligente. La question qui se pose à nous est : "Voulons nous devenir sages en prenant les mesures qui s'imposent pour devenir la première forme d'intelligence qui saura sauvegarder la vie dans l'univers ? Ou voulons nous simplement participer à l'envoi de messages à destination d'une autre civilisation qui le fera à notre place, parce que nous sommes incapables d'éviter la faillite écologique de notre planète ?"
La sagesse est le stade ultime de la conscience du monde, le stade de l'éveil. Des hommes y sont arrivés, pourquoi pas tous les représentants de l'espèce humaine ? L'humanité survivra probablement sous cette forme, la question est de savoir si nous aurons les moyens technologiques de sauver d'autres civilisations extraterrestres de l'effondrement ?
Pour finir, n'oublions pas cette définition de ce qu'est un prévisionniste : C'est celui qui nous expliquera demain pourquoi ce qu'il a prévu hier n'est pas arrivé aujourd'hui.
Eric Souffleux
Bibliographie :
Jeremy RIFKIN, "L'économie Hydrogène", Editions La découverte, Saint-Amant-Montrond (Cher), 2002.
Richard C. DUNCAN, "The Peak of World Oil Production and the Road to the Olduvai Gorge", Pardee Keynote Symposia, Geological Society of America Summit 2000, Reno, 13 novembre 2000.
http://dieoff.org/page125.htm
lien très précis en anglais
http://wolf.readinglitho.co.uk/francais/fpages/folduvai.html
lien plus résumé en français
http://www.manicore.com
, site de Jean Marc Jancovici
http://fr.wikipedia.org/wiki/Paradoxe_de_Fermi , lien pour en savoir plus sur le paradoxe de Fermi.
Dernière mise à jour : 6 février 2006 |