PARASITISME DIGESTIF chez le CHEVAL
par Dr Guy SOUFFLEUX (9 avril 2006)
Le parasitisme digestif du cheval est le fait de vers qui par leur nombre vont spolier et provoquer des désordres chez leur hôte. La présence de ces parasites, étrangers au cheval, va lui faire développer une réaction immunitaire visant à limiter leur nombre. Cette réaction immunitaire est souvent insuffisante et il faut procéder à des vermifugations du cheval pour diminuer la population de vers.
1) EFFETS DES PARASITES SUR LA SANTE DU CHEVAL
Les signes cliniques observés seront fonction de la localisation des parasites, de leur espèce et de l'âge du cheval.
Le poumon
La présence de larves d'ascaris dans le poumon du poulain provoque de la toux
et des hémorragies. Il en est de même lors d'infestation par des larves de
dictyocaules qui traversent le poumon et deviennent adultes dans les bronches
L'estomac
La présence de larves de gastrophiles dans l'estomac peut conduire à des
ulcères gastriques chez le poulain, allant jusqu'à la perforation de
l'estomac, une inflammation de la muqueuse stomacale qui comprime les glandes
libérant l'acide chlorhydrique. De ce fait la digestibilité de la ration
diminue, l'absorption intestinale des minéraux, qui se fait à pH acide,
diminue également. Le cheval maigrit, fait de l'aérophagie.
Les larves d'habronèmes entraînent la formation d'excroissances tumorales sur
la paroi de l'estomac, et dans lesquelles elles deviennent adultes. Le cheval
maigrit du fait de la diminution de la digestibilité de la ration, ou du fait
de la gène du passage du chyme par l'excroissance tumorale placée près du
pylore.
Le foie
Le cheval est réceptif à la douve du foie, mais la réaction immunitaire
qu'elle suscite empêche l'installation d'un nombre important de douves. De ce
fait cette infestation n'est pas symptomatique chez le cheval. La présence de
douve dans le foie du cheval est parallèle à la présence de douve dans le
foie des bovins de la région.
L'intestin grêle
On y trouve les trichostrongylus (vers filiformes = cheveux = 0,5 cm de long),
les strongyloïdes (1 cm de long), les ascaris (30 à 50 cm de long). Les deux
premiers provoquent des érosions de la muqueuse, de la diarrhée par
malabsorption, diarrhée hémorragique noirâtre car le sang est digéré, tout
ceci aboutissant à un amaigrissement du cheval.
Les ascaris, du fait de leur taille, obstruent la lumière de l'intestin,
obstruction pouvant aller jusqu'à l'occlusion, puis la perforation intestinale
chez le poulain. Ils carencent le cheval en oligo-éléments.
Le ténia se localise au niveau du cæcum et de la valvule iléo-cæcale
d'où il modifie le péristaltisme, provoquant des invaginations à l'origine de
coliques
Le cæcum et le colon
On y trouve les grands strongles (rougeâtres de 2 à 5 cm de long) et les
petits strongles ou cyathostomes (4 à 26 mm de long), qui provoquent des phases
de diarrhée suivies de constipation et de perte d'appétit. L'irritation donne
des coliques.
L'anus
Les femelles d'oxyures y migrent à partir du colon. Ceci provoque une
irritation de l'anus, et le cheval se mordille, se gratte, s'abîmant les crins
de la queue.
L'artère intestinale
Les larves de grand strongle migrent pendant 6 à 8 mois dans les artères
intestinales. Une réaction inflammatoire est associée au lieu de pénétration
des larves dans l'endothélium de l'artère grande mésentérique. La
calcification de cette zone forme un anévrisme artériel qui du fait de la
diminution de l'élasticité de la paroi, est moins résistant à l'hypertension
et à l'augmentation de la Fréquence Cardiaque lors d'effort (hémorragie
brutale par rupture de l'artère). La migration des larves dans la lumière de
l'artère est à l'origine de la formation de caillots qui peuvent s'emboliser
(accident vasculaire cérébral, infarctus du cœur ou du rein). Ces caillots
vont limiter l'irrigation de certains secteurs vasculaires intestinaux, et être
à l'origine de volvulus ou de torsion d'intestin accompagnés de coliques
pouvant conduire à un état de choc. Un caillot peut également s'emboliser
dans l'artère iliaque et provoquer une boiterie.
D'un point de vue biologique, la présence de parasites chez le cheval
modifie la formule sanguine et quelques paramètres biochimiques. On note une
augmentation des polynucléaires neutrophiles, des éosinophiles sauf en cas de
cyathostomes enkystés dans la paroi du cæcum ou du colon. La mal absorption
alimentaire ou la fuite protéique due à la diarrhée entraînent une
diminution de l'albuminémie. La réaction immunitaire entraîne une hausse de
la globulinémie.
2) MAITRISE NATURELLE DU PARASITISME
a) IMMUNITE
L'immunité naturelle interdit à des espèces de parasites adaptées aux bovins ou aux ovins de s'implanter sur le cheval.
L'immunité acquise se développe lors de la présence du parasite qui va
commencer par provoquer une inflammation sur le lieu de sa pénétration.
Les polynucléaires neutrophiles interviennent ainsi que les lymphocytes qui
vont stimuler la synthèse des éosinophiles. En effet les parasites sont trop
grands pour être phagocytés par les neutrophiles, et il revient aux
éosinophiles de les détruire en libérant des molécules toxiques oxydantes
(peroxydase, neurotoxine, lysophospholipase) au contact des larves. Celles ci
s'adaptent en secrétant des superoxydes dismutases, des catalases, des
glutathions peroxydases pour neutraliser les toxiques (1).
Les lymphocytes vont fabriquer des anti-corps qui vont faire diminuer la ponte
des vers, diminuer leur taille, les orienter vers l'hypobiose, inhiber une mue.
L'immunité sera bien installée sur les chevaux de 5 à 18 ans, bien
alimentés, et n'ayant pas subi d'infestation massive.
b) CONDUITE D'ELEVAGE
On sait que la vie en écurie ou en box est favorable aux infestations par les
oxyures, les strongyloïdes, les ascaris. La vie en extérieur favorise les
infestations aux petits et grands strongles, au ténia, aux gastrophiles
Les techniques propres à limiter la rencontre du cheval et du parasite
seront utilisées :
- éviter l'élevage intensif, se limiter à 1 cheval par hectare
- alterner les espèces animales : les bovins ou les ovins vont assainir la
pâture en consommant l'herbe sur laquelle remontent les larves des parasites du
cheval, qui ne pourront se développer sur ces hôtes étrangers.
- Eviter les paddocks sur pâturés sauf pour la détente
- Ramasser les crottins deux fois par jour pour les chevaux en box
- En randonnée, éviter de parquer votre cheval sur un terrain ou ont
séjourné d'autres chevaux.
c) ALIMENTATION
Elle est plus ou moins liée à la conduite d'élevage : les chevaux au pré seront bien nourris s'ils ne sont pas trop nombreux sur une surface donnée, et de ce fait se contamineront peu. A l'inverse s'ils sont nombreux, l'herbe se fera rare, ils maigriront et leurs défenses immunitaires s'effondreront (il faut de l'énergie pour mobiliser les neutrophiles, pour synthétiser les anti-corps), et le terrain sera bien plus ensemencé de parasites.
Bien nourrir les poulains et les juments gravides qui sont les plus sensibles
aux infestations.
3) LA VERMIFUGATION
La vermifugation devient nécessaire lorsque le cheval présente des symptômes d'infestation montrant que la maîtrise naturelle du parasitisme n'a pas été suffisante. Cette vermifugation pourra avoir des objectifs variés : détruire les vers qui avaient débordé le niveau immunitaire du cheval, détruire les vers présents sur le cheval et assainir la pâture pour limiter les réinfestations.
Les défenses immunitaires contre les vers sont dites de prémunition, c'est
à dire que cette défense ne s'exerce qu'en présence du vers. De ce fait un
vermifuge qui est éliminé en une journée n'affecte pas l'immunité. Il n'en
est pas de même des vermifuges qui ont une rémanence de 4 semaines et plus.
Dans le premier cas les défenses sont conservées et le cheval se réinfeste
dés le lendemain de la vermifugation, mais à un niveau moins élevé. Dans le
deuxième cas les défenses disparaissent, mais la pâture étant assainie, la
recontamination sera plus progressive, permettant aux défenses immunitaires de
se mettre en place à nouveau au fur et à mesure de l'ingestion des larves
contaminantes.
REMANENCE
Elle s'exprime par la durée pendant laquelle le cheval n'excrète plus d'œufs
de vers dans ses crottins après une vermifugation.
Ainsi on ne retrouve à nouveau des œufs de strongles que 4 à 6 semaines
après administration d'un Benzimidazole, 8 à 10 semaines après administration
d'Ivermectine, 12 à 20 semaines après administration de Moxidectine.
L'arrêt d'émission d'œufs de strongles pendant toutes ces semaines constitue une coupure dans le cycle de contamination de la pâture.
Les œufs à nouveau retrouvés sont le plus souvent ceux de Cyathostomes dont la période prépatente est de 4 à 6 semaines : ( c'est le temps qu'il faut à une larve L3 ingérée par le cheval pour devenir adulte et pondre des œufs).
Rappel sur la biologie des strongles digestifs :
L'adulte fixé dans l'intestin pond des œufs. Sur le sol, l'œuf éclot lorsque la température et l'humidité sont suffisantes, et libère une larve L1 qui se transformera en larve L2 puis L3. La larve L3 s'élève sur les herbes et est infestante lorsqu'elle est consommée. Elle se transforme en L4 puis L5 dans la paroi de l'intestin, ou de l'artère mésentérique ou dans le foie suivant l'espèce de strongle, puis devient adulte en retournant dans la lumière de l'intestin.
On en déduit :
- les Benzimidazoles ont un effet chasse d'eau car pour pouvoir évacuer des
œufs dans son crottin 4 à 6 semaines après la vermifugation, le cheval s'est
recontaminé aussitôt.
- l'Ivermectine empêche le cheval de se recontaminer pendant 4 à 6 semaines.
- la Moxidectine empêche cette recontamination pendant 8 à 15 semaines. Cela
signifie que pendant cette période, toutes les larves L3 ingérées par le
cheval seront détruites par le vermifuge, ce qui assurera l'assainissement de
la pâture.
La rémanence de la Moxidectine est obtenue par son caractère lipophile. Elle se fixe sur les graisses animales et est relarguée régulièrement dans le sang pendant toutes ces semaines.
Une vermifugation sera d'autant plus efficace qu'elle détruira le maximum de vers en développement dans le corps du cheval, et que les facteurs de recontamination alimentaire seront moindres.
Comparons l'incidence d'une vermifugation du cheval, avec des molécules différentes, sur la population larvaire d'une pâture. Ses effets sont bien connus pour les strongyloses bovines, et un parallélisme peut être fait avec les strongyloses équines au vu des premiers résultats expérimentaux.
Deux paramètres sont étudiés :
- le nombre d'œufs de strongles contenus dans chaque gramme de crottin ( OPG
), ce qui signe l'infestation du cheval,
- le nombre de larves L3 infestantes contenues dans chaque kg d'herbe, ce qui
signe le pouvoir infestant de la pâture.
** Témoin : pas de vermifugation au printemps
Le nombre de larves L3 transhivernantes sur la pâture s'amenuise au cours du printemps : elles meurent de vieillesse ou sont consommées par le cheval. Elles sont relayées par les larves L3 de nouvelle génération à partir de fin juin. Ces larves transhivernantes consommées par le cheval en février-mars vont donner des adultes très prolifiques, inondant la pâture d'œufs à partir de mai. Tous ces œufs vont attendre de bonnes conditions de température et d'humidité pour éclore massivement en juillet et se transformer en larves L3 infestantes, très dangereuses pour le cheval du fait de leur très grand nombre. Consommées régulièrement par le cheval ou succombant à la sécheresse, elles vont ensuite diminuer progressivement à l'automne. Les pontes des vers issus de ces larves abondantes sont faibles.
** Vermifugation en mai
La vermifugation stoppe l'émission d'œufs dans les crottins pendant 4 à 6
semaines, donc globalement la quantité d'œufs émis sur la pâture sera
moindre. Le pic de larves L3 sera un peu moins élevé.
La vermifugation stoppe l'émission d'œufs pendant 8 à 10 semaines. De ce
fait il n'y aura plus sur la pâture une grande quantité d'oeufs en attente de
conditions favorables pour éclore massivement en juillet. Les éclosions se
feront au fur et à mesure de l'émission des œufs. Le pic de L3 en août sera
fortement atténué.
La vermifugation stoppe l'émission d'œufs pendant 12 à 20 semaines, et les
pontes des premières semaines de septembre sont peu importantes. En effet elles
font suite à la contamination en août par des larves L3 d'été, qui donnent
des adultes peu prolifiques. Le pic de L3 du mois d'août n'existe presque plus
et correspond à l'éclosion des œufs émis en avril. On ne retrouve un petit
pic en octobre que si les conditions d'éclosion sont favorables.
CALENDRIER DE VERMIFUGATION
Les vermifugations stratégiques visent :
- à limiter l'invasion de la pâture par les larves L3 en été, en empêchant
la ponte des vers prolifiques issus de larves L3 transhivernantes consommées au
printemps, donc nécessité d'un premier traitement début avril,
- puis à débarrasser le cheval de ses vers au cours de la saison de pâture,
en fonction des risques parasitaires de l'élevage.
Il faut garder à l'esprit que la nature est totalement orientée vers la
survie des espèces. Ainsi les larves transhivernantes de petits strongles,
survivantes des rigueurs de l'hiver étant en faible nombre, lorsqu'elles
deviennent adultes dans l'intestin du cheval seront très prolifiques et
ensemenceront fortement la pâture en œufs au printemps. A l'opposé, les
larves consommées en grande quantité en juillet et août donneront des adultes
peu prolifiques.
Il convient donc de détruire les adultes issus de larves transhivernantes tôt
au printemps.
Larves transhivernantes -----> vers adultes à forte prolificité
Larves d'été ------> vers adultes à faible prolificité
Chaque élevage est un cas particulier qui doit avoir son propre calendrier
de vermifugation en tenant compte de critères favorables ou défavorables à la
multiplication des vers, du type de chevaux (poulinière, cheval de loisir ou de
sport), de critères économiques. Si pour un Benzimidazole l'investissement est
de 1, pour le Pyrantel et le Febentel de 1,3 à 1,5 , il est de 2 pour l'Ivermectine
et de 2,5 pour la Moxidectine.
EXEMPLES DE PROTOCOLES DE VERMIFUGATION
Vermifuges | mars | avril | mai | juin | juillet | août | septembre | octobre | novembre | coût |
Moxidectine | x | x | 5 | |||||||
Moxidectine & Ivermectine | x | x | 4.5 | |||||||
benzimidazole & Ivermectine | x | x | x | 5 | ||||||
Benzimidazole | x | x | x | x | x | 5.5 | ||||
Benzimidazole & Ivermectine | x | x | x | x | 5 |
( les Benzimidazoles sont assimilés au Febentel et au Pyrantel, sachant qu'à ces molécules est associé du Trichlorfon à l'automne pour rendre ces vermifuges actifs contre les gastérophiles )
Le protocole tout Benzimidazole ne permettra pas d'atteindre les larves des
grands strongles et des petits strongles, ce qui a une grande importance à
l'automne. Les quatre autres protocoles ont une efficacité voisine.
L'usage répété des vermifuges sélectionne les espèces résistantes à ce
vermifuge. En effet, à chaque cycle de reproduction des vers, surviennent des
mutations (erreur de transcription du code génétique). Ces mutants sont
confrontés au milieu naturel et deux possibilités s'offrent à eux : la
mutation est défavorable et le mutant disparaît, la mutation est favorable et
le mutant devient le père d'une nouvelle souche qui conservera cette mutation.
Les parasites ayant les périodes prépatentes les plus courtes se reproduisent
le plus et sont donc plus sujet à présenter des résistances. Ainsi en 1999,
les cyathostomes étaient déjà résistants aux benzimidazoles, aux lévamisole,
pyrantel, morantel dans certains pays (2).
La croissance de cette souche résistante au vermifuge utilisé sera favorisée
par le sous-dosage du vermifuge, car dans ce cas seuls les vers les plus
sensibles de la population seront détruits. Avec l'utilisation de vermifuges
très concentrés pour lesquels 1 ml de produit représente 100 kg de cheval, il
est facile de comprendre que la perte de 1 ml de produit est très grave pour le
respect de la posologie.
Les dernières semaines d'activité des vermifuges rémanents sont aussi
problématiques car l'activité ne cesse pas brutalement, c'est ce qu'on appelle
l'effet queue. Si l'effet queue est long, la pression de sélection s'exerce
plus longtemps sur les larves sensibles, tandis que les larves résistantes
s'implantent et réensemencent la pâture.
Dr Guy Souffleux
BIBLIOGRAPHIE
1) DORCHIES P. " Helminthoses et sous-productivité des bovins " . GTV -91-3-B-379
2) JACQUIET P. " La résistance aux anthelminthiques ". Bull.Soc.Vét.Prat. de France, juin-juillet 1999, T.83, n°6-7, p.357
3) SOUFFLEUX G. " Vermifugation et assainissement des pâturages " . Cheval Magazine, février 1999, n° 328, p.78
4) SOUFFLEUX G. " Hygiène du cheval de trait ". Attelages Magazine, hors série n°2, hiver 2002, p.78
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